L'immortalité est une plaie. Adam ne le sait que trop bien. Ce vampire reclus (et fan de bonne musique faut pas déconner), observe depuis des siècles la lente déliquescence du monde qui l'entoure. Artiste romantique un poil dépressif, ne subsistant que par des poches de sang achetées à un médecin peu scrupuleux, il envisage de se donner la mort. Jusqu'à ce que sa belle, Ève, ne le convainc de se retrouver comme au bon vieux temps. Cette beauté diaphane vivait ces dernières années à Tanger et s'approvisionnait auprès d'un pote vampire, qui n'est autre que le poète Christopher Marlowe himself ! Les deux amants se retrouvent, s'aiment, philosophent sur l'avenir ou l'absence de celui-ci de la race humaine. D'ailleurs nous-autres, pauvres mortels, sommes appelés "zombies" par le couple d'éternels. Mais leur idylle va être bientôt mise à mal par la curiosité grandissante des fans d'Adam (accentuée par sa volonté de rester au sens propre et figuré dans l'ombre pour ne pas être découvert). Et surtout par l'arrivée de la jeune sœur de sa bien-aimée, Ava, qui va avoir de graves conséquences sur la survie des amants maudits.
Tout d'abord, les comédiens sont tous excellents. Tom Hiddleston est sexy en diable en rockeur gothique blasé, Tilda Swinton rayonne (et pas comme ces putains de suceurs de Twilight qui font mouiller la midinette Eau Précieuse !). John Hurt assure en vieux sage, Anton Yelchin sympa en bonne poire et Mia Wasikowska, l'antithèse des deux amoureux est une charmante tête à claques qui apporte un vent de fraîcheur dans l'antre d'Adam.
Esthétiquement c'est un bel objet. Les villes de Détroit et Tanger filmées de nuit, accompagnées d'une bande-son en forme d'oraison funèbre, dépeignent une ambiance crépusculaire. Le rythme est lent, volontairement contemplatif, pour ainsi installer un climat de fin du monde. Et le fond ? Objectivement une bonne partie du film on voit les amants discuter, admirer les œuvres du passé, bref il se passe pas grand chose. Certains reprocheront que c'est un film pour bobos. Mais philosopher n'est pas forcément signe de branlette intellectuelle. Ces deux êtres sont les spectateurs d'un monde où l'art n'est plus qu'une valeur marchande, où le capitalisme effréné a zombifié notre civilisation soit disant éclairée. Un poil trop long pour certains, trop défenseur du "c'était mieux avant" pour d'autres, Jarmusch nous livre ici une relecture intéressante du mythe du vampire certes basée sur un scénario mince mais avec une atmosphère prenante pour peu qu'on fasse l'effort de s'immerger.