Imaginez un Twilight version bohémien cosmopolite, peuplé d’égoïstes contemplatifs et snobs. Les paysages vous venant à l’esprit sont probablement voisins de ceux d’Only Lovers Left Alive. Car c’est signé Jim Jarmusch (Dead Man, Broken Flowers) et (donc) visuellement splendide, le film a été porté aux nues, pourtant son univers esthétique est sujet à de nombreuses réserves. Jim Jarmusch a rendu un service immense à la culture emo en ce début de XXIe siècle, apportant sa virtuosité pour illustrer ses fantasmes.
Le spectateur passe deux heures à contempler les ruminations et projections d’un couple de vampires âgé de plusieurs siècles. Simple rocker misanthrope en apparence, Adam (Tom Hiddleston) est en vérité un génie de la musique. Il a connu les plus grands compositeurs, a filé un de ses morceaux à Schubert sans rien réclamer, car sa place à lui est dans l’ombre. Sa compagne Eve (Tilda Swinton), qui le rejoint à Détroit après de nombreuses années d’exil à Tanger, se montre plus pragmatique que son amant torturé.
Toutefois comme lui sa vie n’est consacrée qu’à l’amour de l’art, mais aussi de la science et du progrès, auxquels les humains sont tellement insensibles. Aucune scène n’affiche de processus créatif au cours du film, mais la productivité de Adam est un fait souvent rebattu. Il n’est donc pas étonnant que cet ersatz de The Cure soit si amer envers le monde extérieur et surtout les « zombies », c’est-à-dire la race humaine. Car tout ce qu’il y a eu de beau et de grand en ce monde, somme toute : c’est leur œuvre ou celle de rares égaux. À l’exception de Ava la vampire écervelée, il n’y a qu’un seul autre confrère dans Only Lovers et Marlowe (John Hurt), ami et aîné d’Eve, était tout de même la main invisible derrière le pantin Shakeaspeare !
C’est formidable ; oui c’est formidable, malheureusement toutes les références sont basiques, voir, ô terrible ironie : vulgaires. Transposé au cinéma, c’est un peu comme si Spielberg et Cameron étaient les génies raffinés dont on entretiendrait les reliques à l’écart des masses populaires. Cet élément crucial ne fait que révéler la nature profonde de Only Lovers Left Alive, une fantaisie romantique exultant le "côté sombre" d’un sosie d’Indochine. Avec tous les caprices et la grandiloquence au rendez-vous, Jim Jarmusch peut tirer librement vers sa propre caricature. Et c’est très joli, pour peu qu’on se montre tolérant ; et si jamais une sensibilité existe pour ce genre d’univers, alors certainement Only Lovers Left Alive deviendra un film "culte".
http://zogarok.wordpress.com/2014/09/02/only-lovers-left-alive/