Nouvelle adaptation de Shakespeare à l’écran par Welles, Othello semble sur bien des points le miroir inversé de Macbeth : ce dernier était nocturne, scénique, fantastique et sentencieux : Othello sera solaire, cinématographique, intime et humain.


Comme souvent chez Welles, la contrainte semble être vectrice d’une créativité sans limite : rassemblant des financements épars, interrompu à plusieurs reprises, il accouche pourtant d’une œuvre extraordinaire d’intensité, et graphiquement sublime. A titre d’exemple, la scène du meurtre de Rodrigo se passe dans les bains pour une raison très simple : faute de moyens, les costumes n’ont pas été livrés. Welles décide donc de faire sans, dans le marché aux poissons de Mogador (redevenue Essaouira en 1956) et de mobiliser tous les stocks d’encens de l’Eglise pour donner l’illusion des vapeurs. Les comédiens se souviendront longtemps des effluves contradictoires de cette scène…


Othello est avant tout un lieu, mis en valeur par la sublime ouverture à valeur d’annonce tragique : des funérailles, accompagnées d’un chœur sépulcral, et une multiplication des prises de vues sur l’architecture d’une forteresse qui vient d’abriter tous les excès humains.


Quiconque veut comprendre la notion de contraste et la violence possible du noir et blanc se doit de voir Othello : c’est le visage grimé de Welles en Maure, certes, mais aussi et surtout cette blancheur implacable du ciel, cette obscurité des murailles et une pénombre qui se devrait bienfaisante sous la canicule, mais renvoie surtout à cette épidémie de la noirceur du cœur humain.


Sur cette place forte face à la mer déchaînée, la construction humaine devait pourtant signifier le règne et la puissance. Shakespeare ne s’attaque aux puissants que pour révéler l’invariable vulnérabilité de l’homme face aux passions. Un sujet qui ne peut qu’interpeller Welles, un géant malade de sa propre grandeur. La jalousie instillée par Iago sera le poison qui va infuser tout cet univers minéral voué à s’effondrer comme un château de cartes.


Le spectateur ne sait plus à qui destiner son admiration : graphiquement, Othello est un chef d’œuvre de chaque instant, des obliques (canons ou trompettes barrant l’écran) aux voûtes de caves, de la pierre aux draps souillés par le doute, de l’eau des caves aux vagues fracassées sur les falaises, l’espace est tout entier inféodé aux drames humains. En cette prison rutilante, les individus tournent un temps avant l’ensevelissement.


Le texte n’est pourtant pas en reste : la voix off susurre constamment la poésie shakespearienne, et l’alliance du grandiose (amples scènes avec de nombreux figurants) et de l’intime s’enchaîne à merveille, jusqu’aux portraits des visages ravagés par la haine ou le doute.


Othello est le lever de soleil cinématographique sur un Macbeth qui restait encore trop théâtral ; c’est la revanche de Welles sur les distinctions qu’avait reçues Laurence Oliver pour ses adaptations plus académiques du dramaturge, grâce à la Palme d’or qu’il obtient en 1952. Panique au festival : le Maroc, pays officiel du film, n’a pas d’hymne officiel pour la cérémonie : on improvisera, pratique courante chez l’ogre Welles, un vague air oriental issu d’une opérette pour le décorum.


Othello puise sa force, comme toujours chez le prodige Orson, dans la démesure : il est aisé de reprendre au compte du cinéaste, si génial qu’il ne put mener à bien un grand nombre de ses projets, l’épitaphe consacrée à son protagoniste :



“One that loved not wisely but too well”



http://www.senscritique.com/liste/Integrale_Orson_Welles/1581035

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le 26 janv. 2017

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Sergent_Pepper

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