Orson Welles donne ici une de ses visions de l'univers shakespearien avec une grande justesse et beaucoup d'efforts investis malgré le fait qu'il ait coupé la pièce, tranché, morcelé, compressé, on le lui a reproché, mais cette version abrégée respecte l'esprit du grand Will et ses dialogues étincelants. Le seul reproche qu'on peut faire, c'est le choix de certains comédiens, notamment l'âme noire Iago qui reste le personnage le plus machiavélique du théâtre anglais, et qui aurait nécessité un acteur plus charismatique et moins terne, de même que Desdémone qui bien que belle, reste assez fade. La splendeur baroque de la mise en scène contraste avec la sobriété du jeu des comédiens justement, où le génie de Welles éclate à chaque plan, notamment ce montage chaotique, sorte de kaleidoscope de contre-plongées, de subtils jeux d'ombre et de lumière, de perspectives architecturales. Ce film fut réalisé en plusieurs étapes, sur 5 ans, avec des bouts de ficelle, des costumes et des décors bricolés filmés dans divers pays méditerranéens, faute d'un budget suffisant ; il n'y avait parfois pas de tailleurs pour confectionner des pourpoints Renaissance, d'où le fait que Welles situe des scènes aux bains turcs, et quand il ne pouvait plus payer son opérateur, il filmait lui-même jusqu'au bout de ses forces, c'est dire si ce tournage fut épique. Le film reste aussi fascinant par sa formidable machination au subtil engrenage qui broie ses personnages, et qui illustre plus la jalousie de Iago que celle d'Othello, Welles ayant réussi à faire oublier par tous ses artifices l'aspect théâtral ; le spectacle suit la lutte allégorique du Bien et du Mal. Bref, c'est du génie à l'état pur, un grand auteur servi par un grand réalisateur.