Je crois bien préférer Welles quand il s'attaque à la littérature. Trois coups de cœur avec Le Procès, MacBeth et Othello pour une refonte tout autant créative qui marque de sa signature, qu'elle rend hommage à ses auteurs. Après son adaptation de MacBeth, à l'aspect théâtral plus prégnant, où le huis clos condensait toute la noirceur de l'âme, Welles s'attaque à son miroir, Othello et ouvre son récit au souffle baroque, surdimensionné et intemporel, passant d'une Venise vivante où la sérénité apparente laissera place à une Chypre esseulée, et aux déchaînements de passions dévastatrices. Les faits d'armes seront bien peu de choses en regard du trouble qui habite notre héros et Welles condensera encore une fois l'œuvre et exacerbe les sentiments. La jalousie poussée à son paroxysme. C'est parfaitement tragique.
Comme souvent, la mise en valeur de l'environnement et son emprise sur les hommes fait son effet, jouant de plans architecturaux, d'angles déformés, de contre-plongées, ou de prises de vue obliques, les décors sont toujours impressionnants, et la technicité étonnante, quand on sait le peu de moyens. Welles soigne alors ses effets, jeux de lumières aux contrastes francs, ombres menaçantes qui annoncent les secrets d'alcôve et les trahisons à venir, et alterne entre des intérieurs grandioses et souvent étouffants, emprisonnant ses personnages, mettant en exergue les affres auxquels ils sont soumis, à la luminosité aveuglante de l'extérieur, comme un faux souffle bienfaiteur - la mer déchaînée se fracassant sur la falaise, métaphore de l'esprit d'Othello soumis à vents contraires est parfaitement évocatrice -,
Une mise en scène tourbillonnante, aux mouvements de foules bigarrées, pour l'aspect exotique, où Welles lui-même arrive à donner le change et trouve là un rôle à la mesure de sa stature. Ses envolées passionnelles, ses monologues poétiques qui se perdent dans les chemins de traverse, son jeu de regards, et ses mouvements devenant plus hésitants et saccadés à mesure que la folie le consume, Welles marque par sa présence.
Alors même si son MacBeth caractérise une dérive mentale avec plus de force, une Lady plus impressionnante dans sa manipulation et un duel final à l'épée qui ravit par sa rapidité d'exécution et sa chorégraphie, l'introduction (par la scène finale) d'Othello, renvoie au même choc visuel. Les corps des deux époux accompagnés par une cohorte d'hommes en noirs, telles des visions fantasmatiques, magnifiquement filmée, transporte par sa beauté délétère et la musique funèbre, qui accompagnera l'ensemble, se fait à la fois discrète et tout puissante. La déclinaison de la folie prend toute sa force dans le jeu de Wells, même si on peut être perplexe de la force de persuasion du fourbe Lago. Desdémone quant à elle est l'image parfaite de l'innocence sacrifiée à la félonie des hommes.