Il y a un gigantesque malentendu à propos de Patrick Schulmann. Son film P.R.O.F.S régulièrement diffusé à la télévision depuis plus de 30 ans laisse penser qu'il appartient à la catégorie des films de "cancresploitation" du genre "Les sous-doués passent le bac", "Le pion" et autre "Diplômés du dernier rang". Alors que Patrick Schulmann est bien plus qu'un faiseur de gags éculés à la Christian Gion ou Pierre-François Martin-Laval, sans vision ni réelle audace. En dépit de l'aspect dérisoire ou du casting improbable de ses films, Schulmann est un cinéaste à part entière qui s’efforçait de dire des choses derrière certaines plaisanteries un peu faciles.
Son "Et la tendresse ... ? bordel !" était une comédie romantique délirante et libertaire qui devait plus au Woody Allen d'Annie Hall qu'aux films calibrés pour faire des entrées à la Claude Zidi. Ses références sont nobles et trahissent un authentique amour du cinéma. P.R.O.F.S ne renvoie-t'il pas au M.A.S.H d'Altman ? Film mentionné dans une scène avec une Charlotte Julian en intellectuelle téléramiste. Oui on peut aimer les films déconnants et Sonate d'automne de Bergman. Il n'y a que les imbéciles qui s'interdisent des choses par soucis de conformisme. Surtout en matière de cinéma.
Bien sûr le film a de gros problèmes, et s'il a très mal vieilli c'est en grande partie à cause des pulls des élèves et de leur jeu tout aussi approximatif. Mais on peut encore rire de cette transposition de M.A.S.H en milieu scolaire. La trame est la même...
Frédéric Game (Patrick Bruel pas trop énervant faut le noter) est muté dans un lycée de banlieue, il sympathise avec le professeur d'Art plastique (Fabrice Lucchini égale à lui-même), le prof de sport (Laurent Gamelon, parfait dans le rôle du mec limité mais sympa), et avec le CPE bricolo (Christophe Bourseiller, inventeur du cristal mou).
Comme dans M.A.S.H, les professeurs s'efforcent d'aider les élèves du mieux qu'ils peuvent - comme les chirurgiens sur le front coréen soignaient les blessés. Ils font aussi des sales coups à leurs collègues un peu cons, et jugés ennemis de la profession : la prof de physique tortionnaire, le prof de maths pète-sec (Guy Montagné n'est pas Robert Duval, mais il est amusant dans ce rôle il faut bien l'admettre), et évidemment Charles Max, hilarante caricature du prof d'histoire coco, dont la démonstration de psycho-géographie respire le vécu plein nez. Comme dans M.A.S.H, on joue avec l'humiliation publique - le censeur, l'excellent Etienne Draber est tourné en ridicule un peu comme Lèvres en feu.
C'est grivois, très français d'inspiration Hara Kiri et ça montre que les professeurs sont aussi perdus que leurs élèves. Il y a surtout une poignée de scènes cultes : le relookage de Charles Max, l'entrée du prof de maths bourré qui retrouve la mauvaise classe, ou encore le conseil du classe qui tient la dragée haute à celle tout aussi excellente du Péril jeune. Et les Special Things valent bien Animal Collective.
Pour redécouvrir les films de Patrick Schulmann, sous un éclairage nouveau, il suffit d'écouter son fils et le critique Yves Alion parler de ce réalisateur vraiment en marge du cinéma français et ultra attachant, entre Jean-Pierre Mocky et Jody Hill (qu'il aurait certainement adoré). Un réel amoureux de la comédie libertaire, plus intéressé par l'écriture de scénario que par la technique cinématographique pure. Un élément qui explique pourquoi ses film demeurent à la fois aussi vivants, et datés visuellement.
Une suite était prévue, et le casting était prêt à reprendre du service. Malheureusement Schulmann est mort dans un accident de voiture en 2002. On ne peut qu'avoir des regrets à l'idée de ce projet jamais concrétisé, car sa vision de l'évolution du système éducatif et des élèves français de 2020 aurait valu son pesant de cacahuètes. Cela aurait eu le mérite de proposer quelque chose de différent par rapport aux films de Kev Adams ou de Podalydes sur le sujet (un choix limité à "les profs sont trop ouf" ou "les élèves sont merveilleux").