[Interprétation spoiliatrice en fin de critique justifiant le changement de note de 7 à 8, j'espère vos avis sur la question]
Festival entropique de couleurs et de mouvements, sans céder pour autant à un délire épileptique, Paprika est un petit bonheur visuel accompagné d'une bande-son électronique survitaminée qui fait frétiller les oreilles de plaisir.
Le postulat de départ est simple, classique pour le genre. Un prototype permettant à une personne de s'infiltrer dans le rêve d'un tiers est dérobé. Les scientifiques en charge du projet, conscients du danger, se lancent dans une enquête effrénée pour le retrouver, particulièrement Atsuko Chiba, belle chercheuse froide comme la glace dont l'alter ego dans le monde des rêves, la pimpante Paprika lui sera d'un précieux secours (ou est-ce l'inverse ?).
Thriller onirique, course poursuite endiablée, Paprika se révèle dense et haletant malgré quelques baisses de régime dans la vitalité de son scénario qui cède certes à quelques facilités mais reste bien globalement bien ficelé, avant tout prétexte à une réflexion sur la notion de réalité. Dès le générique d'introduction où Paprika virevolte d'une forme à l'autre, Satoshi Kon prévient, la frontière entre le rêve et la réel sera ténue, au point que pour la scène finale, le spectateur est bien incapable de situer l'espace où se déroule l'action.
Le souci, mais il est à mon sens de taille, reste que les personnages, hormis le commissaire Konakawa qui bénéficie d'une sous intrigue personnelle intéressante, n'ont pas pris la moindre épaisseur une fois le film achevé. On ne sait ni d'où ils viennent, ni ce qui les anime réellement. Même la double héroïne Atsuko/Paprika n'a aucun passé et aucune justification quant à un si parfait dédoublement de personnalité. Au final, elle comme ses camarades, indiffère consciencieusement. Vraiment dommage étant donné que le film ne fait qu'une heure trente. Quelques respirations introspectives dans la narration aurait donné plus de corps à l'ensemble.
[INTERPRETATION SPOILIATRICE]
A moins, à moins... A moins que finalement tout ce qui se déroule dans Paprika ne soit qu'une imbrication de rêves du capitaine Konakawa et qu'à aucun moment nous soyons confrontés à la réalité telles que nous l'entendons. C'est en me lançant dans un second visionnage affublé du comparse @Ico que j'ai essayé de donner un peu de consistance au scénario et aux personnages.
Si tous les personnages ne sont que des émanations du rêve de Konakawa, il est tout à fait normal qu'ils aient l'épaisseur d'une feuille de papier bible, puisqu'ils ne servent qu'à alimenter le songe du capitaine. Après tout, il est quand même excessivement curieux que ce personnage censé secondaire qu'est Konakawa soit le seul doté d'un passé, d'un traumatisme, d'un problème à résoudre.
En partant de ce postulat, le scénario devient plus clair à mes yeux. Paprika s'ouvre sur le rêve au cirque de Kunokawa avec la fameuse réplique d'introduction "It's the greatest show time", annonçant un rêve d'envergure. Au au lieu de se réveiller de son cauchemar du cirque, Kunokawa passe à un niveau de rêve plus profond, débutant cette étape onirique au côté de... Paprika, LE personnage censé n'évoluer que dans le monde des rêves ! Toute l'histoire ne serait alors qu'une fantasmagorie élaborée participant à la prise de conscience finale de Kunokawa, qui se doit de se réconcilier avec sa fibre artistique, sa part de rêves d'une certaine façon, avec son quotidien de policier se devant d'être réaliste et normé.
Si on part de ce postulat, L'incompréhensible fusion monde des rêves / réalité de la scène finale prend tout son sens. Kunokawa, ayant enfin compris ce qui le traumatisait, participe à la fusion (et non la victoire) de Atsuko/Paprika, incarnation du rêve, de l'imaginaire pimpant et coloré, avec the Chairman, coquille vide de n'être qu'ambition au service de sa vie de régisseur au quotidien tristement réglé comme une horloge atomique, sans fantaisie, sans lumière. Ces deux entités représentent deux facettes du Kunokawa, celle du policier écrasé de responsabilités, subissant la pression d'un meurtre insoluble à résoudre, et celle de l'étudiant en cinéma depuis longtemps étouffée.
Je ne vais pas détailler toutes les scènes qui me confortent dans cette théorie (l'accès au lounge du monde des rêves par internet, l'impossible scène où Paprika se voit arriver sur son nuage, scène elle même visionnée par moniteur dans la réalité,etc) mais plus j'y réfléchis, moins je vois d'alternatives.
Quel que soit votre interprétation, Paprika est une ode à la nécessité de l'imaginaire dans la vie de tout un chacun, adossée ici à un éloge au cinéma (toujours à travers le personnage de Kunokawa) . Satoshi Kon n'a pas mis en scène une lutte rêve/réalité, mais une réflexion sur leur nécessaire complémentarité pour équilibrer tout un chacun.
Réjouissant pour les pupilles, rythmé, bluffant dans sa mise en scène d'un joyeux chaos que seul l'univers des rêves permet, construit autour de thématiques puissantes et regorgeant de symboles et clins d’œils, Paprika est à voir absolument.