Party Girl est un titre qui évoque la fête, la jeunesse, la nuit, l’insouciance. Angélique, notre party girl est d’une autre trempe, elle est une femme sous influence empreinte de gravité et de désarroi, filmée délicatement par son propre fils.
Le projet des 3 compères de la FEMIS , Marie Amachoukeli, Claire Burger , et Samuel Théis est un projet difficile de par son sujet, mais mûri de longue date, car ayant déjà partiellement fait l’objet d’un court métrage (« Forbach », 2ème prix de la Cinéfondation 2008).
Il s’agit d’une autofiction autour d’Angélique Lintzenburger, la soixantaine virevoltante, entraîneuse de son état. Angélique est belle, Angélique a du chien, mais avec l’arrivée de filles plus jeunes, et de techniques d’entraîneuses bien différentes (poledance, lapdance, twerks suggestifs, etc), elle sent bien que son quart d’heure de gloire est passée : les clients ne viennent plus vers elle. Seul l’alcool lui tient –mal- compagnie tout au long de la nuit. Il lui semble inéluctable de devoir passer à autre chose, se ranger, assurer ses arrières, et la demande en mariage d’un de ses clients , Michel, fou amoureux d’elle, va tomber à point nommé pour l’aider à prendre une décision.
Ce mariage et cette relation vont servir de trame à la fiction. Le reste du dispositif est basé sur la réalité, le vécu, depuis les acteurs « non professionnels jouant leur propre rôle (dont les 4 enfants d’Angélique), jusqu’aux situations périphériques (familles d’accueil d’un de ses enfants, copines entraîneuses du cabaret qui se trouve de l’autre côté de la frontière allemande, etc). Même le fameux mariage est un épisode véridique de la vie d’Angélique, fictionnalisé ici avec l’aide de Joseph Bour, un acteur novice mais qui campe avec justesse cet homme de peu, simple et sincère dans sa démarche.
Le projet est manifestement celui de Samuel Théis, l’un des enfants d’Angélique, le fils qui a réussi : Paris , la FEMIS, le succès. Il a pris soin de travailler avec deux de ses amies intimes, afin de créer le recul et la distance nécessaires pour traiter de choses aussi douloureuses qu’une enfance sans doute difficile à Forbach, en étant fils d’un mineur vite sorti du scope, et d’une entraîneuse à peine présente, absente en tout cas à son devoir de mère au point qu’on lui a enlevé la garde des plus jeunes.
Le sujet du film pourrait en faire un cinéma social, car il est vrai que le milieu dépeint est loin d’être florissant. Certes, la pauvreté affleure, mais le regard des trois cinéastes sur Forbach et tout ce bassin minier n’est ni manichéen ni misérabiliste : les enfants sont heureux dans un contexte social un peu rude, les filles du cabaret sont de bonnes vivantes, rien n’est sordide et au contraire, les montgolfières multicolores d’une quelconque fête font pétiller la houille lorraine d’un bonheur simple.
Quant à Angélique, son portrait est parfaitement dressé par les trois camarades. Le spectre de la solitude qui s’annonce, d’une retraite à vivre sur fond de RSA, tout ceci est dit en creux dans les séquences du cabaret du début, où Angélique est seule au comptoir, ne s’amuse pas, la panique se lisant dans ses yeux si clairs, si clairvoyants, et pourtant si noirs d’appréhension.
Angélique aime la fête, Angélique aime la séduction, celle des hommes et celle de ses enfants. Quand Michel lui demande de l’épouser, sa première réaction est d’en rire, comme d’une vaste blague, comme d’une incongruité qui ne peut pas la concerner. Est-ce Angélique qui a entraîné sa vie dans cette voie, ou est-ce la vie qui l’a entraînée, elle ?
En tout cas, la voilà prise au piège de sa vie passée qui rend difficile son désir de changement.
La douleur de ces tiraillements va se matérialiser dans sa relation avec ses enfants. Angélique les aime passionnément, et d’ailleurs ils le lui rendent bien. Mais elle est incapable de faire les concessions qu’il faudrait pour ancrer cette relation dans le dur, dans le concret. Comme son fils Samuel lui dit : « tu as de l’amour la vision d’une gamine de 14 ans ». Pour l’amour maternel, c’est la même chose : il est idéalisé dans des visions presque bucoliques de sa toute jeune Cynthia de 16 ans placée en famille d’accueil, mais de là à lui offrir le cadre tant désiré d’un foyer, il y a un pas qu’Angélique n’est pas en mesure de franchir.
Le film est une réussite, car il touche le spectateur sans aucun sentimentalisme. Un flux positif circule entre les personnages, et surtout, malgré le danger d’être au front dans cette histoire, Samuel Théis (et ses co-réalisatrices) ne juge jamais Angélique. Il ne justifie jamais rien non plus. C’est le beau portait d’une femme usée et volontaire à la fois qui est donné à voir, et qui met immédiatement en empathie.
On pourrait peut-être reprocher à Samuel Théis une légère condescendance vis-à-vis de cette famille qu’il semble pourtant aimer tellement. Mais on peut émettre l’hypothèse que cette carapace et cette posture sont le prix à payer pour un jeune homme qui vient de très loin et qui entend aborder un milieu difficile qui n’est pas le sien. Il n’y a pas si longtemps, un autre jeune homme a fait un parcours semblable du milieu ouvrier d’Eddy Bellegueule vers les salons littéraires d’Edouard Louis, et la lecture de son récit est tout aussi édifiante…