Boredom of press
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Après bientôt cinquante ans de carrière et une trentaine de longs-métrages parmi les plus influents de la production hollywoodienne, Steven Spielberg semble n'avoir plus rien à prouver. Son style de réalisation a d'ailleurs tellement été repris, copié, détourné, que l'on pourrait même se demander quelle pierre il peut encore apporter à l'édifice. Ce, d'autant plus concernant sa veine historique, mention « tiré d'une histoire vraie », débutée en 1985 avec La couleur pourpre, qui a amorcé une bonne partie des codes hollywoodiens du biopic répétés ad nauseum et sans grand talent par beaucoup de productions depuis. Ce serait oublier que cette veine-là, Spielberg l'a fortement fait évoluée, passant du lyrisme de La Liste de Schindler à la théâtralité fortement politique de Lincoln, qui se focalise sur la figure de l'homme agissant pour le bien commun, qu'il soit célèbre (toujours dans Lincoln) ou anonyme dans Le Pont des Espions. Leur réussite tient à un rythme endiablé malgré la narration basée sur les dialogues et à un fond plus touffu que leur idéalisme démonstratif le laisse paraître.
Avec Pentagon Papers, Tom Hanks reprend donc peu ou prou le même rôle que dans le précédent film cité. Celui de l'idéaliste borné, qui se dévoue corps et âme pour une cause et change le cours des événements par sa volonté et son efficacité. En cela, la forme épouse parfaitement son sujet : la hâte avec laquelle on publie le numéro d'un quotidien (en l'occurrence, le « Washington Post ») est parfaitement signifiée par une narration haletante, une caméra virevoltante et un montage ciselé superposant les plans-séquences discrets et efficaces, qui font la marque de fabrique de Spielberg. Que ce soit pour couvrir un mariage de la famille de Nixon ou pour dévoiler des documents secrets du Pentagone qui éclabousse une bonne partie de la classe politique en pleine guerre du Vietnam, l'enjeu est le même : affirmer le droit menacé par l’État d'informer les citoyens américains. Le rédacteur incarné par Tom Hanks fait ainsi des pieds et des mains pour se procurer les documents secrets dont la publication dans le New York Times a été censuré. Une démarche journalistique qui changea non seulement le cours de la guerre du Vietnam, mais contribua aussi à stopper les rapports amicaux incestueux entre les gouvernants et les journalistes.
Malgré la virtuosité dont Spielberg fait preuve, ce n'est pas cette mécanique somme toute bien classique qui rend le film remarquable. Car si l'on s'en tenait là, mise à part la qualité de réalisation et d'interprétation, la démonstration narrative resterait convenue et franchement didactique, semblable aux autres biopics holywoodiens. Mais comme pour Le Pont des Espions, Pentagon Papers se démarque par la figure interlocutrice de Tom Hanks qui se révèle être le vrai héros du film. Dans le premier film cité, il s'agit de l'espion soviétique Rudolf Abel ; ici, la propriétaire du journal superbement interprétée par Meryl Streep est la clé narrative du film, l'élément supplémentaire qui enrichie le récit. Étant celle qui risque de perdre le plus en défiant l’État, à savoir l'entreprise bâtie par sa propre famille et elle-même, sa mise en danger implique déjà bien plus le spectateur et fait toute la réussite de la scène de la décision fatidique. Elle permet aussi d'introduire un autre adversaire, encore plus nuisible aujourd'hui à l'indépendance de la presse : le pouvoir économique et financier, alors que le « Washington Post » menace de voir ses investisseurs boursier se rétracter. Elle permet enfin de déporter subtilement le propos du film vers la condition de la femme, et plus précisément d'une d'entre elles à la tête d'une entreprise d'homme. Voir ainsi Meryl Streep affirmer peu à peu sa voix face à la domination masculine qui n'admet pas qu'une femme puisse décider de l'avenir d'une entreprise est ainsi particulièrement réjouissant.
Subordonner ce développement au sujet principal du film, la publication des documents du Pentagone, prend d'ailleurs tout son sens car cela reflète l'emprise de la domination masculine, difficile à déceler car disséminée dans chaque geste et chaque interaction sociale. En faisant se croiser deux causes humanistes a priori sans rapports, Spielberg parvient à donner plusieurs dimensions à son regard sur l'histoire du XXème siècle, extirpant ainsi son cinéma de l'univocité trop courante du genre historique. La dernière séquence, qui raccorde les événements du film avec l'affaire du Watergate, coup de grâce porté au gouvernement Nixon, rappelle ainsi presque ironiquement que Pentagon Papers n'est finalement pas qu'un prequel au film d'Alan J. Pakuja Les Hommes du président.
Voir la critique du film Le pont des Espions :
https://www.senscritique.com/film/Le_Pont_des_espions/critique/39125441
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Créée
le 11 févr. 2018
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