Prisoners est un film étrangement composite, qui en ce qui me concerne résulte d’un malentendu. Vileneuve est pour moi un auteur, celui de l’adaptation d’Incendies de Mouawad, et j’attendais de ce film une exploration tragique et psychologique au détriment d’une intrigue conventionnelle. Le réalisateur fait le pari de mêler les deux, et le résultat est à mon sens assez déconcertant.
La maitrise est indéniable, et c’est clairement un policier de qualité, bien réalisé, assez oppressant, à l’intrigue certes profuse au gré de ces 2h35 qui sont finalement plutôt légitimes. Les acteurs sont convaincants, quoi qu’un peu outrés (le coup des tics nerveux en fermant les yeux, ça va cinq minutes).
A l’image de Gone baby Gone d’Affleck ou de polars sombres, c’est finalement une adaptation fidèle d’un polar qui n’existe pas puisque c’est un scenario original.
Si on me présente ça, d’accord, c’est un bon film, c’est divertissant, formaté, mais prenant.
Le problème, c’est qu’on y instille des thématiques plus ambitieuses qui ne collent pas avec l’emballage. Un polar, c’est un grille, des passages obligés, des fausses pistes, des indices un peu grossiers, mais qu’on accepte, parce qu’il y a une sorte de contrat tacite entre le lecteur/spectateur et le récit. Ici, rien ne déroge à la règle, et certains raccourcis sont assez foireux, les suicides bien pratiques et les résolutions un peu déconcertantes. Mais Villeneuve prétend faire un film psychologique, tragique, qui mettrait l’individu en prise avec un conflit moral, un dilemme et des compromissions.
Sur ces points, le film échoue un peu, parce qu’on a du mal à accepter qu’une prétention de cette envergure soit finalement au service d’un pavé de l’été, de bonne facture, certes, mais avec tout le formatage de circonstance. Il y a à mon sens incompatibilité entre la finesse supposée du propos sur l’ambiguïté de la dévotion et de la monstruosité de Dover, et les rebondissements qui jalonnent le récit, et, surtout, le mobile final évoqué, trop facile et bêtement sophistiquée, de même que pour la fausse piste sur laquelle on nous attire un moment.
Film bancal, qui peine à choisir son camp, Prisoners est frustrant, plein de promesses, mais emprisonné par les compromis que fait le réalisateur avec le genre dans lequel il s’illustre. (6,5/10)