Les films de Brian De Palma font souvent de lui un vain génie et Dressed to Kill ("tiré à quatre épingles") est de loin l’opus nourrissant le plus cette sensation. La mise en scène de l’illusion atteint ici une ampleur vertigineuse proche des deux grands climax du réalisateur, Obsession et Blow Out.
Prêtant allégeance à Psychose, Pulsions s’en approprie les totems et notamment celui de l’héroïne en crise à laquelle nous nous attacherons avant que l’horreur n’entre en scène. Avec Angie Dickison convertie en MILF, De Palma marche aussi sur un autre terrain, que tout le monde omet, celui du réalisateur de Belle de Jour et Viridiana. Pulsions invente un Bunuel anglo-saxon, glamour et complaisant sans retenue, lui. L’inspiration reste d’abord à trouver auprès du grand maître de De Palma (Hitchcock), qui va prolonger la scène du musée de Sueurs froides pour créer un dédale de reflets enregistré par une stedycam défiant les contraintes de l’espace.
Une autre référence inattendue s’infiltre ici et de manière plus directe. Par son imagerie fétichiste, de la lame de rasoir aux gants, Dressed to Kill rappelle Argento. Ce n’est pas une simple affaire de gris-gris car toute cette tension fantasmagorique renvoie entièrement, en tant que telle comme dans les manières, aux poèmes de Argento, notamment à Ténèbres et aux premiers thrillers comme L’Oiseau au plumage de Cristal. Le cinéaste italien cependant abordait plus frontalement cette soumission des femmes aux désirs douloureux et complexes des hommes et surtout, préfère la transe à l’empathie.
La première demi-heure est un grand moment dans le parcours d’un cinéphile. Dressed to Kill atteint alors un état onirique, où le travail conceptuel permanent, ostensible sans grossièreté, engendre une puissance émotionnelle rare. On vit le film dans l’instant avec toujours l’impression d’être au bord du précipice, mais possédé de toutes façons. Ce côté magique, le film va le garder jusqu’au-bout, même dans ses élans les plus tendancieux.
Ensuite, c’est l’heure du crime ouvert et de l’enquête. Nous voilà alors dans un De Palma audacieux mais néanmoins traditionnel, clairement dans la lignée des polars typiques de l’époque exposant la ville américaine en proie aux pulsions et des préjugés tout en étant bercée par un équilibre poussif. Des parallèles aux autres films notables de cette période sur la sexualité trouble ou la jouissance devenue vecteur de délabrement (Hardcore, Cruising) peuvent être établis facilement. C’est là que surviennent les éléments dommageables. En effet, si sur le plan théorique et pratique les faux-semblants, dualités et renversements émerveillent, le propos sur la déviance sexuelle en lui-même est relativement médiocre.
Il est pourtant plutôt sympathique voir grisant, avec ses transsexuelles soit plus conservatrices que la moyenne soit carrément dégénérées. Néanmoins Pulsions vire à l’alliance de freudisme putride et de bis machiavélique, dont le léger ridicule est rattrapé in fine par la toile cohérente dans laquelle De Palma l’insère (l’interaction du clivage et du désir -du laïus qui l’énonce à tous les indices qui l’illustrent- renforce la démarche esthétique du film). Et puis il faut l’avouer, c’est aussi grotesque que charmant.
Sévèrement censuré et bêtement accusé de moralisme (alors qu’on pourrait plutôt reprocher à De Palma d’être apathique sur tout ce qui relève du monde éthique), ce Dressed to Kill où les pulsions envahissent un écran sophistiqué marque une apothéose stylistique de Brian De Palma. Si sa représentation (relativement pionnière en 1980) de l’alter-sexualité peut sembler désuète ou grandiloquente, le film n’en demeure pas moins un voyage très réussi, dont on garde des traces de la scène d’exposition. Au milieu de son haut lyrisme se dresse un thriller brillant, avec quelques échappées comme la poursuite en métro, l’autre séquence remarquable du film et la bande-son élégante de Pino Donaggio, avec surtout le miraculeux extrait The Shower.
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