« Une année, un film » : Rashomon, réalisé par Akira Kurosawa et sorti le 25 août 1950.


1950, voici un nouveau cap de franchi, et pour ce faire j’ai choisi de faire un crochet par le cinéma asiatique en partant à la rencontre de Rashomon, l’une des œuvres majeures d’Akira Kurosawa, réalisateur japonais considéré comme l’un des cinéastes les plus influents de l’histoire de son pays.


Je préfère prévenir directement, il est difficile de se lancer dans une analyse de ce film sans se risquer à en dévoiler des éléments-clé de l’intrigue. Libre à vous, donc, de poursuivre la lecture (chose tout à fait déconseillée si vous comptez voir le film). En effet, si l’on veut résumer l’intrigue de Rashomon sans aller trop loin, on peut se contenter de dire qu’il s’agit d’une histoire racontant une enquête sur un meurtre dans le Japon médiéval, avec une succession et confrontation de témoignages. Mais Kurosawa n’a pas choisi de réaliser un polar d’une époque lointaine, évidemment. Rashomon est un film qui a été conçu non pas pour simplement raconter ou divertir, mais bien pour faire réfléchir.


Ce qui est assez magique avec ce film, c’est qu’il est bourré d’allégories, tout en étant lui-même une allégorie, une fable sur l’humanité et ses origines. Il laisse libre cours à l’interprétation, tant à travers les témoignages des personnages, que par les mises en scènes proposées. Le film se déroule dans trois endroits différents : une porte monumentale en ruines (qui donne son nom au film, le lieu étant directement inspiré du Rajōmon de Kyoto), le lieu du tribunal, et la forêt où se déroule le meurtre. Trois lieux qui représentent toute une symbolique.


En effet, Rashomon n’est pas la simple histoire d’un procès visant à lever le voile sur les motivations et les circonstances qui ont poussé à un meurtre, mais bien le procès de l’humanité face aux vices dont il est coupable. Le mensonge est au cœur de ce film, brouillant les pistes, biaisant le discours de chacun dans le seul but de préserver son image et sa dignité. Les différents protagonistes sont invités, tour à tour, à dévoiler leur version de l’histoire, ne parvenant jamais à se mettre d’accord, du fait de leur propre condition qui les incite à tourner le déroulement des faits à leur avantage afin de s’en sortir grandis et impunis. Grâce à une mise en scène parfaite, Kurosawa transforme ce qui pourrait être une simple histoire de mœurs et de meurtre en un conte légendaire, véritable poupée russe scénaristique.


La forêt symbolise l’état sauvage, la nature même, d’où l’homme provient, terre des premières fratries, amours et crimes. Le lieu du procès, extrêmement épuré, où seul l’accusé parle, sous le regard des témoins, silencieux, en arrière-plan, à des individus inconnus dont on n’entend jamais la voix, pourrait être assimilé à une sorte de jugement dernier, un lieu où les hommes doivent expier leurs péchés et être confrontés au jugement de leur nature même. Enfin, la porte en ruines, où se rencontrent un moine et un bûcheron, témoins direct et indirect du meurtre, ainsi qu’un un roturier, représente la désolation, la réalité, celle d’une humanité qui a failli et qui vit dans une ombre permanente, dans le silence, sous une pluie battante et interminable, donnant lieu à des scènes magnifiques et puissantes.


Menteur est l’humain, mais telle est sa nature, celle qui mène à être à même de se défendre grâce aux moyens dont il dispose, et le mensonge en fait partie. Propulsés dans cette histoire intemporelle, nous sommes invités à prendre acte du jugement de l’homme par l’homme. Grâce à sa photographie impeccable, et à sa façon de filmer les décors et ses personnages, Kurosawa nous immerge dans cette histoire à la fois intrigante et inquiétante, dont le dénouement reste un mystère total jusqu’aux derniers instants du film. Hautement philosophique, Rashomon est un film qui reste en tête, qui désoriente et qui fascine.


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le 7 mai 2015

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