La filmographie de Sidney Lumet n’est pas avare en films exemplaires, depuis son mythique 12 Hommes en Colère (1957) ou La Colline des Hommes Perdus (1965), il figure parmi les grands noms de l’époque. Au début des années 1970, il fait appel à un jeune acteur dont la carrière commence à décoller, Al Pacino, pour réaliser son nouveau film coup de poing : Serpico. Critique acerbe du monde de la police, il s’agit d’un biopic relatant l’histoire du policier Frank Serpico, dont la principale quête fut la chasse à la corruption au début des années 1970, dans une ville de New York économiquement exsangue.
Dans un vent de révolte et d’amertume, alors que les pensées se libèrent et le cinéma en fait de même dans une époque de troubles économiques et sociaux, Serpico arrive pour mettre en scène l’histoire d’un type banal, qui va peu à peu se retrouver marginalisé par ses pairs. Toute jeune recrue de la police de New York, Frank Serpico est plein d’entrain et de bonne volonté. Intègre et juste, son dynamisme est à l’image de son apparence : impeccable et irréprochable. Cependant, l’histoire que Sidney Lumet adapte ici n’est pas celle d’un super-flic qui coffre les criminels à la chaîne, mais bien celle d’un système véreux et gangrené par la corruption.
Adoptant un rythme relativement lent, un point de vue et un langage quasi-documentaire, Serpico a pour vocation d’immerger son spectateur dans le quotidien du jeune policier afin qu’il puisse partager au mieux le point de vue du protagoniste. Méticuleux et minutieux, le film n’a de cesse d’enfoncer son héros dans les limbes nocturnes où règnent trafics de drogue, petits arrangements et distribution de pots de vin. Au fur et à mesure que l’espoir de refaire surface s’amincit, la barbe et la chevelure de Frank Serpico s’épaississent. Comme sa propre apparence, Serpico est voué à négliger les valeurs de son propre métier pour le combattre de l’intérieur dans une croisade qui semble irrémédiablement vouée à l’échec.
Profondément choquant et bouleversant, Serpico s’inscrit dans une mouvance cinématographique libertaire se servant de la marginalité pour dénoncer l’absurdité de comportements humains en société, comme le faisait extrêmement bien Easy Rider, quatre ans auparavant. Ici, le héros aux valeurs inébranlables n’est pas celui que la foule adore et que ses pairs respectent, mais bien celui que l’on rejette, que l’on chasse. Représenté comme un Christ moderne, tant sur l’apparence que sur la mission, Serpico casse les préjugés, jouant sur les apparences pour n’en faire que des façades qui cachent des personnalités tout à fait différentes.
Al Pacino, dont la carrière est alors en train de décoller, tient ici ce qui est indubitablement l’un des rôles de sa vie. Dans une prestation intense où l’acteur se confond avec son personnage avec une maîtrise rare, Pacino nous touche droit au cœur pour faire de ce film de Lumet un point d’orgue de sa carrière, ainsi qu’une référence du septième art.