Cette critique ne spoile pas le film Seule sur la plage la nuit.
Il y a des films qu'on aime, qui nous obsèdent, avant même de les avoir vus. Grâce à ce poète mélancolique à la réalisation, cette actrice ingénue et ce titre aussi magnifique que neurasthénique, Seule sur la plage la nuit m'avait déjà conquis avant même que je pose mes yeux sur une de ses images. Avec ce film, Hong Sang-soo a déposé une graine qui commence à peine à germer dans mon esprit. Il livre des tableaux empreints de romantisme et de mélancolie. Hong Sang-soo révèle ses peurs, ses espérances et toute sa tendresse à Kim Min-hee qui lui rend tout cet amour par des regards emplis de malice. Elle lui confie sa colère, sa douceur, son chagrin et sa joie de vivre devant sa caméra pour un résultat d’une beauté sidérante.
Avec sa caméra, Hong Sang-soo sublime sa compagne, lui donne un éclat fantomatique, au gré des divers plan-séquences, parfaitement encapsulé par ce long manteau noir, symbole du deuil de la relation. Avec cette réalisation frôlant l'amateurisme et ses diverses mises en abyme, il insuffle un côté intime, secret, à son film. Le portrait d'une solitaire, qui brise la frontière entre le cinéma et la réalité et laisse le spectateur dans un entre-deux d'une douceur inouïe. Une destruction temporelle qui commence par la rupture, comme pour vivre plus intensément le reste de la relation dans les films à venir.
Hong Sang-soo prouve par des scènes fugaces, futiles, enivrées d'alcool et drôles qu'on ne parle jamais mieux qu'avec une caméra. Comme cette scène où Young-Hee chante une petite ballade amoureuse pour elle-même au détour d'une cigarette. Hong Sang-soo construit sa dramaturgie selon ses personnages au fil de flottements, de petits riens, d'un anodin qui, grâce à son génie, paraît grand. Il encapsule parfaitement ce sentiment de solitude, cette errance, qu'on ressent parfois quand on est pourtant entouré de personne proche. Une mélancolie, une tristesse, un amour invisible qui dilate le temps jusqu'à en briser ses frontières.
En repensant au film, j'ai la Quintette à cordes D.956 de Schubert qui résonne dans ma tête, l'impression de ressentir la texture du sable humide sur mon visage, de respirer la douce odeur des vagues, d'avoir l'esprit embrumé par l'alcool et de sentir la violence de l'air glacé sur mes joues. J'ai la gorge sèche à cause d'une cigarette mais vite désaltérée par une bière en canette bon marché. Seule sur la plage la nuit est une pierre précieuse qui m'a envoûté comme rarement un film a pu le faire.
Hong Sang-Soo est un romantique qui ne croit plus en l'amour mais qui déclare sa passion à une femme avec son film. Le genre de cinéaste qui arrive à livrer un film à la fois intime et universel. Un poète qui remplit ses vers vides avec de la 8.6.