Snake eyes constitue sans doute le film le plus théorique de Brian De Palma qui, en grand virtuose qu'il est, s’amuse ici à conceptualiser sa réalisation jusqu’au moindre détail et dans chaque mouvement de caméra. Structuré à partir d’un scénario ingénieux de David Koepp (mais qui s’essouffle dans son derniers tiers), ce huis clos labyrinthique prend comme point de départ l’assassinat d’un secrétaire d’État lors d’un match de boxe truqué. Le faux plan-séquence inaugural va servir de matrice au film puisqu’il sera, par la suite, analysé et décortiqué sous trois angles différents (quatre même si l’on prend en compte celui du zero gravity flying eye), permettant une relecture des événements déclencheurs et une appréhension douloureuse de la vérité (individuelle, mais aussi d’un système tout entier).

Le jeu et le mensonge, la corruption et les apparences étant les thèmes induits par l’intrigue, De Palma raisonne sa mise en scène par des fondements identiques, à commencer par son plan-séquence d’ouverture dont il fait croire qu’il en est un alors qu’il se compose de plusieurs plans raccordés de façon invisible, idée bien sûr empruntée à La corde d’Hitchcock ; De Palma, en faussaire génial et maniériste du maître anglais, a toujours su se rapproprier les grandes scènes hitchcockiennes en les pervertissant selon ses règles et ses propres besoins.

C’est aussi le règne des images que De Palma questionne (leur pouvoir, leur statut, leur degré d’exactitude) en fragmentant intérieurement son cadre et en proposant divers niveaux de lecture formelle (multiples images télévisées ou de vidéo-surveillance). Les décors participent également à ce sentiment de représentation factice où rien n’est jamais sûr ni authentifié, et c’est particulièrement flagrant lors de la scène de filature dans les couloirs de l’hôtel dans laquelle De Palma amplifie la démesure (les corridors qui s’étirent à l’infini) et l’artificialité même de ce qui est filmé (le travelling au-dessus des chambres laissant délibérément voir un plateau de cinéma). Son Rashomon au pays de l’argent et du simulacre, d’une grande originalité technique, laisse à voir une société du spectacle non plus comme "la reproduction du pouvoir et de l’aliénation par le capitalisme" (Debord), mais comme une constante falsification servant à celui-ci.
mymp
8
Écrit par

Cet utilisateur l'a également ajouté à sa liste Top Brian De Palma

Créée

le 14 févr. 2013

Critique lue 2.3K fois

43 j'aime

2 commentaires

mymp

Écrit par

Critique lue 2.3K fois

43
2

D'autres avis sur Snake Eyes

Snake Eyes
Docteur_Jivago
7

Faux-semblants

La séquence d'ouverture de Snake Eyes donne déjà le ton, Brian De Palma veut en mettre plein la vue et met en scène une folle entrée dans un Palais des Sports, filmée en plan séquence, avec une...

le 21 janv. 2021

32 j'aime

3

Snake Eyes
Velvetman
7

Amérique sous images

Avec Snake Eyes, Brian De Palma affiche sa virtuosité visuelle sur tous les pores de son œuvre. Virtuosité tellement grandiloquente, qu’elle prend le pouls de son récit. Missile sur l’image...

le 9 juin 2018

30 j'aime

1

Snake Eyes
Ugly
7

Un ballet de corruption et de trahison

Le brillant réalisateur de Mission impossible parvient à sublimer un scénario conventionnel en forme de puzzle par une mise en scène virtuose et inventive, dont on retient le long plan-séquence...

Par

le 15 nov. 2018

28 j'aime

6

Du même critique

Moonlight
mymp
8

Va, vis et deviens

Au clair de lune, les garçons noirs paraissent bleu, et dans les nuits orange aussi, quand ils marchent ou quand ils s’embrassent. C’est de là que vient, de là que bat le cœur de Moonlight, dans le...

Par

le 18 janv. 2017

182 j'aime

3

Gravity
mymp
4

En quête d'(h)auteur

Un jour c’est promis, j’arrêterai de me faire avoir par ces films ultra attendus qui vous promettent du rêve pour finalement vous ramener plus bas que terre. Il ne s’agit pas ici de nier ou de...

Par

le 19 oct. 2013

180 j'aime

43

Seul sur Mars
mymp
5

Mars arnacks!

En fait, tu croyais Matt Damon perdu sur une planète inconnue au milieu d’un trou noir (Interstellar) avec Sandra Bullock qui hyperventile et lui chante des berceuses, la conne. Mais non, t’as tout...

Par

le 11 oct. 2015

162 j'aime

25