Simplement au bout du cynisme
Premier film anglo-saxon et même hollywoodien du coréen Park Chan-Wook, auteur de Old Boy et JSA. Après sa contribution controversée aux films de vampire via Thirst, il réalise un conte morbide, où Sade et Nietzsche se réunissent en souscrivant à une certaine sobriété, afin de mieux s’épanouir pour une sorte de Psychose chic et lucide. Le film et ses habitants sont très terriens dans ce qu’ils expriment, totalement éthérés dans leur allure et leur rapport à cette réalité.
Comme dans Old Boy, Park Chan-Wook met en scène des relations familiales d’une perversion.. ambitieuse. Un oncle charmeur et manifestement sociopathe se présente à l’enterrement de Richard Stoker. Il aménage chez India et sa mère Evelyn (Nicole Kidman), dans leur immense château. Elle se trouve déchirée entre attraction et antipathie envers cet homme. Il amène l’ouverture vers une autre condition, marquée par l’expression de soi et la destructivité : mais pour marcher vers ce fantasme libertin total, il faudrait accepter une certaine insécurité ou pire, d’être un prédateur à ses côtés.
Cela inclut négliger ce père qu’elle aimait, enterrer définitivement son image, son honneur, tolérer qu’il n’ait été qu’un moyen ; et que demain il ne soit même pas un fantôme, juste rien. Chez les Stoker, des tabous élémentaires tombent, Evelyn agonise et n’espère plus rien au-delà d’elle, si desséchée et anéantie soit-elle : l’existence de sa fille ne la rassure aucunement, elle la plombe seulement, tout au plus a-t-elle le mérite de focaliser sa rage tout en la supplantant.
Or c’est une fausse tragédie, car ce n’en est pas une pour ceux dont la volonté et l’avidité écrasent tout. Bien sûr, ils sont humains malgré tout et ils ont une fin. Mais leurs transgressions sont nécessaires pour creuser leur normalité et tout est question de force ou de désir. S’il y a une réponse cosmique, c’est celle-là, le rappel à sa puissance, sa vitalité, ou leur absence.
Thriller stylé assez grandiloquent et conséquent dans sa noirceur, Stoker n’est pas superficiel. C’est un délire organisé, logique, pittoresque comme ses apparences et tout à fait simple. Cette simplicité déviante n’est pas ‘creuse’ et encore moins ‘absurde’. C’est aussi l’histoire d’une petite fille fondamentalement seule, dans un monde hostile et froid, mais néanmoins nanti, coupé des vicissitudes et des petites pressions de l’existence commune.
Pour elle, devenir adulte sans se résigner à sacrifier son identité, c’est choisir d’être un monstre. Mais on ne doit pas devenir n’importe quel monstre : si on est pas responsable de ce que nous sommes, on est responsable de ce qu’on choisit, c’est-à-dire de la vie qu’on trace. Et India ne veut pas devenir un animal maniéré mais sans aucune colonne vertébrale comme l’est son oncle. Par contre elle aimerait elle aussi être sa propre fin au sein d’un monde où tout est fini, dans tous les sens du terme.
https://zogarok.wordpress.com/2015/02/19/stoker/