Le film culte de John Carpenter. Son plus connu, un classique du film d’horreur, un incontournable pour tout cinéphile. The Thing est devenu avec le temps une oeuvre très reconnue, en dépit d’un accueil plus que timide à sa sortie. Mais c’est probablement le lot de la plupart des films cultes, parfois trop en avance sur leur temps, des fois victimes d’un contexte défavorable. En tout cas, The Thing m’avait laissé sur une très bonne impression suite à un visionnage chez moi, et une séance au Forum des Images m’a permis de le redécouvrir sur grand écran dans une version restaurée d’une très belle qualité. L’occasion, enfin, d’écrire sur ce film intéressant à bien des égards.
The Thing est avant tout et surtout un film d’horreur. Jouant sur la peur du spectateur, avec des scènes violentes, des jumpscares, éliminant ses protagonistes les uns après les autres, il suit tous les codes d’un simili-slasher, dans l’esprit d’Alien, dans un espace clos et où la nature de l’ennemi est longtemps inconnue. Cependant, il s’avère que John Carpenter emprunte davantage au western, chose logique compte tenu de son appétence pour le genre, qui se ressent dans les influences visibles dans ses précédents Assaut et New York 1997, et explicable par le style, le propos et le déroulé du film. En effet, si John Carpenter préfère aux déserts arides des films de John Ford et autres Clint Eastwood un désert glacé et enneigé, l’objectif est le même : isoler ses protagonistes et les confronter à une nature hostile.
Ce décor est idéal pour suivre la démarche de ses aînés, en ramenant les personnages à un état presque sauvage, renvoyant à nos lointaines origines. Ici, la « chose » détruit, absorbe et imite pour se répandre et envahir la planète, qu’elle a atteint depuis une planète extra-terrestre. Dans un premier temps, on y voit déjà une allusion parlante à la théorie selon laquelle la vie a été apportée sur terre par des corps célestes venus de l’espace. Un vaisseau spatial s’écrase sur Terre, permettant à cette forme de vie inconnue de s’y installer. Ensuite, cette « chose » se présente comme la représentation des menaces d’une nature dangereuse pour ces hommes dépossédés de leurs moyens, loin de toute civilisation, et qui n’ont pour seul moyen de défense efficace le feu, arme destructrice, mais aussi flambeau dont la maîtrise fut un pas certain vers la naissance de la civilisation. C’est comme si nous revenions à une époque très lointaine, où l’homme, de nature et de constitution fragile, devait composer avec la nature, apprendre à se défendre avec des moyens qui lui sont propres, et le lance-flammes qui brûle les créatures infâmes fait écho aux torches qui éloignaient les prédateurs lors de la Préhistoire.
Ce n’est, bien sûr, qu’une piste d’interprétation du film, cohérente vis-à-vis de sa construction et de son scénario, mais tout à fait subjective. Par ailleurs, son analogie avec les westerns américains et l’idée d’un retour aux sources, d’une exposition des hommes à un danger naturel et primitif, semble claire, mais il ne faut pas éluder l’aspect intérieur de la menace. En effet, la créature attaque ceux qui la menacent, mais elle assimile également, elle se transforme en sa victime pour continuer son invasion. C’est la base d’une paranoïa maladive qui se développe au sein de l’équipe, et une représentation à l’échelle réduite d’un monde où le danger est extérieur, mais il est aussi intérieur, où chacun est une menace pour l’autre, et même pour lui-même, autre idée déjà développée dans les précédents films de John Carpenter, et que l’on retrouvera dans une autre forme dans Invasion Los Angeles. En définitive, l’idée est donc de montrer que l’homme demeure facilement fragile face aux menaces lorsqu’il est dans un environnement hostile, mais qu’il est également une menace envers lui-même à cause de sa nature instinctivement suspicieuse et méfiante, symbolique d’une société moderne où l’individualisme semble supplanter de plus en plus l’instinct grégaire de l’espèce humaine.
Le cinéaste récite ici ses gammes avec maîtrise, dans un film mêlant performances techniques impressionnantes et un sens de la débrouillardise remarquable. Carpenter fait avec ses moyens, lesquels sont modestes, mais il le fait toujours bien. The Thing est un film à l’ambiance très prenante, avec un suspense parfois difficilement soutenable, mais aussi mémorable pour ses transformations et ses créatures horriblement dégoûtantes. Sa capacité est d’utiliser un matériau convaincant sur la forme, rendant hommage au film d’Howard Hawks, mais puisant également dans les thématiques développées dans les grands westerns américains, savamment reprises par John Carpenter pour apporter à son film le fond nécessaire au raisonnement de sa puissance cinématographique. Après plus de trente-cinq ans, le film n’a pas pris une ride, son effet est demeuré intact, et si à l’époque le public l’a boudé, il peut compter, aujourd’hui, sur de nombreux admirateurs, et ce à juste titre.