Into the Woods.
Grande sensation du festival de Sundance en 2015, rachetée immédiatement par Universal pour une visibilité plus conséquente, il est à parier que The Witch risque de subir le contre-coup de ses...
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le 20 juin 2016
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Petit bijou obscur et acéré, The Witch est une réussite totale. Bien sûr, comme tout film d’horreur, sa qualité horrifique sera appréciée très différemment par tout un chacun, tant le registre de la peur (l’émotion la plus primaire, profonde et puissante dirait Lovecraft) est subjectif. Pour paraphraser King, chacun a ses “points de pression” horrifiques, très personnels, seuls à même de réellement le toucher au coeur, là où les registres de l’héroïsme, de la romance ou de l’humour par exemple sont en règle générale bien plus consensuels. The Witch a pour sa part sauvagement manipulé mes points de pression horrifiques durant 1h30, rien à dire là dessus, mais, outre cet aspect subjectif, le film me semble avoir en sus toute une série d’indiscutables atouts.
La photographie est magnifique, brumeuse à souhait, et rend cette simple forêt terriblement menaçante, les scènes nocturnes (notamment à la fin) sont tout particulièrement léchées. Le film fourmille de plans somptueux aux airs de peintures, et pas les plus mauvaises : on se croirait plongé dans l’oeuvre des hollandais de l’âge d’or. La musique est bien dosée, sait laisser sa place aux silences ainsi qu’à des sonorités pour le moins dérangeantes, (les coeurs de femme, les violons discrets et dissonants) qui ont le bon goût de ne jamais se faire stridentes, préférant suggérer le danger plutôt que nous sommer artificiellement d’être terrifiés.
Dans le même esprit, les scènes d’horreur sont vraiment bonnes, en tout cas c’est le style de scènes que je trouve les plus angoissantes et inconfortables. Pas de jump-scares épileptiques, plutôt des plans lents et méticuleux, où la menace se dessine petit à petit en laissant travailler notre imagination : il ne faut pas s’impatienter en attendant le “dénouement” (soit le moment où la menace devient évidente, où le danger se matérialise en action) mais profiter de cet espace d’incertitude qui nous met vraiment à contribution.
Je me demande s’il n’y a pas des spectateurs qui “attendent” tellement le jump-scare à chaque instant qu’ils se privent de l’appréciation de ce genre de scène, effectivement ce n’est pas une peur brutale et surprenante, mais c’est terriblement insidieux et c’est aussi très bon. La scène de la “cabane” est ainsi un chef d’oeuvre, tout ce qui s’y passe est objectivement banal, paraît bien inoffensif, mais avec ce que l’on sait et devine, on ne peut que se retrouver terriblement mal à l’aise, l’effroi grandissant alors que la scène s’éternise et que le piège se referme
Outre l’aspect horrifique, The Witch est un film historique qui ne nous prend pas pour des dindons, et les recherches effectuées par Robert Eggers apportent une vraie plus-value. Le vieil anglais et les dialogues (pour certains tirés des sources d’époque) sonnent juste, leur nature quasi exclusivement religieuse est vite oppressante mais c’est clairement voulu pour mettre en lumière les obsessions de l’esprit puritain. Certaines références sont vraiment trop pointues pour qu’on puisse les saisir au premier visionnage et sans chercher à notre tour
(le fait que les sorcières étaient supposées pouvoir se transformer en lapins pour venir espionner leurs proies, qu'elles préparent la lotion leur permettant de voler à partir d’entrailles d’enfants, etc.).
Au moins on se cultive et on apprécie d’autant plus les visionnages suivants.
Dense et ouvert, le film aborde en profondeur ses thèmes, principalement ceux de la tentation et du fanatisme religieux, lequel obscurcit les esprits et dresse les membres de la famille l’un contre l’autre par son intransigeance, les empêchant de s’unir face au danger. Peu friand d’antichristianisme primaire, je trouve que The Witch mène intelligemment sa barque, évitant d’ailleurs de reprendre les codes habituels et faciles de la critique du fait religieux.
En effet, le consensus général est que “la spiritualité c’est bien mais la religion (organisée et codifiée) c’est oppressant et c’est mal”. Ce n’est clairement pas le propos du film qui ne dépeint pas les dogmes figés d’une institution, mais l’auto-aliénation de “libres-penseurs” qui sont trop jusqu’au-boutistes pour les puritains lambdas (déjà eux-mêmes trop radicaux pour le protestantisme anglais), qui les excluent ainsi de leur plantation.
Par ailleurs, la pratique religieuse ne paraît pas dénuée d’intérêt vu ce qu’affronte la famille (à moins qu’on estime que le surnaturel soit une illusion dans le film, ce que je ne pense pas, voir plus loin).
Bref, la mise en lumière des barrières et obsessions fanatiques que l’on s’impose à nous-mêmes (parfois avec l’aide d’un enseignement religieux effectivement) est très intéressante, et rejoint toute une série d’autres pistes de réflexion souvent abordées sur le plan symbolique : adolescence et sexualité refoulée, péchés capitaux (chaque membre de la famille a d’ailleurs son favori, l’orgueil pour le père, la luxure pour Caleb....), la place de la femme, etc. Toujours le film demeure mesuré, il suggère et propose, jamais ne juge ni n’impose
(le père est borné et vaniteux, mais est déterminé à défendre sa famille et demeure un roc face au mal et à la tentation ; la mère subit les décisions de son mari, mais elle montre aussi sa part d’ombre face au chagrin ; Thomasin est injustement accusée de toutes sortes de choses, mais on a l’impression à certaines occasions qu’elle aspire en effet parfois à certaines de ces choses : son opposition à ses parents dévots, qui va crescendo, et le monologue où elle semble énormément se plaire à s’imaginer en sorcière, peuvent ainsi laisser planer le doute).
Le seul élément qui me chiffonne ce sont certaines interprétations du film, que je ne trouve pas très convaincantes, surtout celle qui assure que The Witch a “plusieurs niveaux d’analyse” (jusque là d’accord) dont le plus noble serait, comme d’habitude, “le surnaturel n’existe pas, tout n’est qu’illusion et projection”.
On a vraiment l’impression qu’il y a un mépris total de certains amateurs de cinéma pour les thèmes du surnaturel, de l’occulte et du mal, à tel point qu’ils ne peuvent tout simplement pas concevoir qu’un film d’horreur premier degré basé sur ces éléments puisse être intelligent. Il faudrait absolument qu’il ne parle pas de ce dont il parle pour prétendre être cinéphilement correct.
Le pire c’est que cet “anoblissement” du film d’horreur réduit en général terriblement son propos : dans le cas de The Witch on voudrait que ce film, riche en symboles et interrogations, sur le plan moral comme métaphysique, se réduise à des banalités psychologiques que même le magasine Elle n’ose plus aborder dans ses dossiers thématiques (famille dysfonctionnelle, névrose religieuse, bouc émissaire et tutti quanti).
Certains ont en effet affirmé que c’est “seulement” parce que les membres de la famille sont névrosés qu’ils se déchirent et se mettent à imaginer tant de choses, la cause de leur malheur serait purement mentale. Ca ne me semble pas appuyé par le film. Lorsqu’ils quittent la plantation, ils sont solidaires, à moins qu’ils ne cherchent à faire illusion (la mère et la fille se tiennent la main dans la charrette, elles ne semblent pas encore être en conflit à ce moment-là). Surtout, l’élément déclencheur se déroule après l’installation dans la nouvelle demeure, il est sérieux et très objectif :
le petit Sam disparaît (dans des conditions très étranges) c’est là que la famille commence à se déchirer (et de multiples autres épreuves vont suivre, dangereuse pénurie de nourriture notamment).
Je suis à peu près sûr que 100% des familles auraient TRES mal vécu ce qui arrive à celle-ci, pas besoin qu’elles soient déjà dysfonctionnelles. La sorcière ne paraît pas ainsi être le “révélateur symbolique” d’un mal-être déjà existant, mais l’élément externe, et hostile, qui vient déclencher le chaos.
Vraiment, je ne vois pas comment tous les éléments surnaturels du film pourraient être attribués à la folie ou aux fantasmes d’une famille névrosée, cela supposerait des hallucinations individuelles, des hallucinations collectives parfaitement synchronisées, et des hallucinations sans hallucinés (les scènes où on voit la sorcière seule dans la forêt notamment, sans aucun témoin). Certains indices matériels appuient également la réalité objective des manifestations maléfiques :
tels le sang sur la chemise de la mère, la grange défoncée et les chèvres au coeur dévoré comme le chien dans la forêt.
. Si l’on admet que le surnaturel n’existe pas dans ce film parce que tel est notre bon vouloir, et que l’on recourt à toutes les pirouettes imaginables pour le justifier
(“c’est Thomasin qui a empoisonné Caleb”, bien qu’aucun indice ne l’atteste)
alors il n’y a plus de limites. On peut estimer que toutes les scènes de tous les films sont mensongères et qu’on peut les interpréter comme on veut. Moi j’affirme que Dumbledore et Voldemort ne sont qu’une seule et même personne variablement maquillée, et les scènes où on voit les “deux” personnages réunis ne sont d’ailleurs que des accès de démence schizophréniques, teintés d’homosexualité refoulée. Voilà.
A part ce relatif mépris pour le surnaturel donc, sans doute certaines personnes veulent-elles ABSOLUMENT voir dans ce film une condamnation totale et sans nuance de la religion, le propos de l’oeuvre serait juste : les sorcières n’existent pas, tout n’est qu’hystérie, délivrons-nous des chaînes de l’aliénation spirituelle. Encore une fois, il ne me semble pas que cette interprétation puisse être appuyée par l’analyse interne du film : j’y vois un récit où les sorcières, et plus largement le mal, existent, et auxquels effectivement viennent se surajouter hystérie et paranoïa.
Cette lecture antireligieuse du film s’articule probablement à l’idée qu'il devrait défendre la thèse “la sorcellerie ça n’a jamais existé, ce n’était qu’un outil de contrôle social et d’oppression des femmes". Il y a de ça évidemment, mais affirmer aujourd’hui que la sorcellerie est une pure invention du clergé me paraît anti-historique.
Rien que le livre de la sociologue Jeanne Favret-Saada “Les mots, la mort, les sorts” nous apprend que la sorcellerie et la contre sorcellerie, les magies blanche et noire, étaient omniprésentes dans la campagne française des années SOIXANTE - SOIXANTE-DIX, alors imaginez auparavant. Attention, je ne dis pas que la sorcellerie ça marche forcément, mais que des gens y croient et s’y adonnent.
Sur le plan extra-filmique, sans que ce soient là des arguments définitifs, il faut préciser qu’Eggers est revenu en interview sur le fait qu’il était fasciné par les sorcières et le folklore des forêts obscures (il refuse d’ailleurs de dire s’il croit ou non auxdites sorcières). Fanatique des films d’horreur classique, il va bientôt signer le remake de Nosferatu, et je doute ainsi fortement que le surnaturel soit secondaire dans The Witch, ne servant qu’à “symboliser” des banalités psychologiques ou à livrer un message antireligieux vu et revu.
Il faut admettre que l’ergotisme (pathologie hallucinatoire due à la consommation de céréales pourries, comme le maïs) est tout de même suggéré. Eggers est un réalisateur consciencieux et y a en effet fait référence, mais a également affirmé que ce “n’était pas sa direction” pour l’interprétation du film, d’autant plus qu’aucun des membres de la famille ne présente les autres symptômes de l’ergotisme (spasmes, convulsions, vomissements, gangrène, etc.).
The Witch est un excellent film, comme oeuvre horrifique autant que reconstitution historique, qui a beaucoup à proposer mais qu’il ne faudra pas regarder comme un film “d’horreur-attraction” gore et hyperactif. Si vous aimez les ambiances oppressantes et crépusculaires, le folklore occulte et les animaux louches, foncez !
Créée
le 22 oct. 2017
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