Voilà bien un domaine où l’on n’attendait pas forcément Joachim Trier : le film à véllélité fantastique. Après trois longs-métrages inégaux (dont le chef-d’œuvre Oslo, 31 août) explorant davantage celui de la chronique intimiste, Trier s’essaie donc au genre surnaturel en sondant la psyché tourmentée d’une étudiante que les premiers émois amoureux vont entraîner au-delà de l’entendement (sous forme de crises psychogènes aiguës et d’inquiétants "pouvoirs"). Sous influence visiblement depalmienne (Carrie) et bergmanienne (Persona), Trier et son scénariste Eskil Vogt, complice de toujours (dont le Blind flirtait déjà plus ou moins avec l’étrange), évoquent la dualité violente qu’il peut exister, se développer de façon dangereuse entre l’intime (les sentiments de Thelma pour Anja ou envers son petit frère), le réel et ses croyances (le protectorat religieux des parents de Thelma, jusqu’au sacrifice).
Amour refoulé, ascendant mystique comme éventuelle échappatoire (mais plutôt comme un déni), phénomènes paranormaux, secret familial et mort dans le placard : on sent Trier et Vogt cherchant à aborder moult sujets pour donner corps à cette histoire de troubles psychosomatiques pas franchement originale en soi (David Cronenberg, entre autres, est déjà passé par là avec son fameux Chromosome 3). Anti-spectaculaire dans ses effets et dans sa forme, Thelma finit pourtant par souffrir de cet aspect hyper-maîtrisé, comme empêché à la longue par sa propre virtuosité (et ce jusqu’à un dénouement en demi-teinte, banal et pas mal frustrant). Trier parvient rarement à générer une tension, à amorcer une impulsion, son film restant bloqué au même stade d’intentions et d’évolution pendant presque toute sa durée (quasiment deux heures, ce qui ne joue pas non plus en sa faveur, le film accusant un rythme assez inégal et plusieurs séquences inutiles).
De fait, la réussite du film se trouve ailleurs : c’est Eili Harboe. Étonnante et fascinante, la jeune actrice encore peu connue (seulement deux films à son actif) sait imposer une présence à la fois fragile et inquiétante, en parfaite symbiose avec la complexité de son personnage. Elle compense très largement ce manque d’étincelle, ce manque de relief dans la singularité du film (si l’on excepte deux ou trois scènes vraiment marquantes, dont celle à l’opéra), Trier et Vogt se contentant de recycler quelques gimmicks du genre autour d’une intrigue un rien balisée sans jamais y apporter un regard neuf et pertinent, ce qui peut surprendre de la part de Trier, lui qui a su réadapter et se réapproprier, après Louis Malle, Le feu follet de Pierre Drieu la Rochelle en en faisant l’un des plus beaux films de ce début du siècle.
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