« Je souhaitais me frotter au film de genre, faire quelque chose de différent ». Thelma constitue la première incursion cinématographique de Joachim Trier dans la veine du thriller surnaturel. Servi par un casting d’actrices débutantes et quelques effets spéciaux, Thelma met en scène une adolescente qui quitte le foyer familial pour poursuivre ses études. Auparavant isolée, entourée par un père omnipotent, et une mère à la condition physique réduite, Thelma va au devant de nouvelles épreuves, tiraillée entre ses aspirations internes, et son ouverture pour le monde extérieur, symbolisée par Anja et l’attirance suscitée chez elle. A des difficultés communes, vécues dans une période charnière, s’ajoutent des éléments frisants avec le paranormal, dont la survenue défie toute approche rationnelle.
2017 aura été une année riche en remise en cause pour les enfants, jusqu’à la puberté. Manipulateurs ou tueurs, ils laissent les adultes désemparés face à leurs comportements, inexpliqués en apparence. Thelma rappelle vaguement dans son approche et sa thématique un autre projet, français, sorti plus tôt dans l’année, dans une veine plus gore, Grave. Les écueils ne manquaient pas, pour Joachim Trier : vouloir traiter une histoire d’amour lesbienne, l’intégration d’un individu au sein d’un groupe social, les liens entretenus avec la religion, les rapports parents enfants, en insérant dans ce tout du fantastique, sur le papier, c’était une tâche compliquée. Loin de dériver vers le pot-pourri, Thelma tire son épingle du jeu dans la clarté de son propos et sa cohérence, à l'opposé du caractère grotesque d’un Grave, plus marqué par le tampon Fémis que par la caractéristique du film de genre. Les escapades estudiantines à base de drogue et de vomi coulant à flots sont limitées, la surenchère censément provocatrice, absente. Tout juste un instant fugace, fascinant et oppressif à la fois pour le spectateur, terrifié par les serpents, vient faire le lien audacieux entre sexualité et connaissance, dans une métaphore biblique jouissive, faisant directement écho à la Genèse. Dans une veine similaire, on est bien loin des délires religieux et démiurgiques grotesques de ces derniers mois, au cinéma.
Au-delà des effets stroboscopiques, à déconseiller auprès des personnes épileptiques, Thelma comprime autant physiquement, par les jeux de claustrophobie et d’apparitions étranges, que sur le plan psychologique, en disséquant ce qui se trame dans l’inconscient de l’être humain. Ce sont les refoulements dans les limbes de la psyché qui possèdent des conséquences sur le réel, rendu plus anormal qu’il ne doit l’être. Les crises psychosomatiques, assimilées à tort à des crises épileptiques, dans un premier temps, donnent à voir en quoi les replis apparemment stratégiques sont velléitaires, cachant la poussière sous le tapis. Joachim Trier mélange les évènements du quotidien avec les sensations déformées, des rêves, et les hallucinations causées par des substances illicites. La pression qui s’exerce sur Thelma est à imputer directement à son entourage, qui tente de contenir le monstre enfermé dans le cachot. Car, dès lors que leur progéniture est en mesure de comprendre en quoi ses supposées tares sont susceptibles de se transformer en atouts, l’assise induite par l’autorité du père se volatilise. Il n’est plus l’archétype du thérapeute, amant platonique, auréolé par son statut de médecin. Il devient frêle, et perd de sa superbe, condamné à voir son entreprise irréalisable se fissurer devant ses yeux, tel un Cronos terrassé.