This must be the place, petite production indépendante italo-franco-irlandaise, m'a bouleversé de la première à la dernière minute. L'interprétation formidable des acteurs (l'immense Sean Penn bien sûr, en vieille icône pop dépressive qui rit comme un enfant timide, ressemble à Robert Smith et marche comme Ozzy, mais aussi Frances McDormand en épouse solide et joueuse, et les nombreux seconds rôles tous parfaits), la superbe musique de David Byrne (leader des Talking Heads, dont le titre du film est l'un des standards et qui joue ici son propre rôle), les mouvements de caméra aériens du réalisateur italien Paolo Sorrentino, son regard d'européen qui découvre l'Amérique et la filme comme un hommage, la beauté des paysages, des cadrages, de la photographie, les délicieux instants de comédie qui traversent subtilement le spleen ambiant, le thème de la relation père-fils et du passage non pas à l'âge adulte, mais au stade d'adulte, la façon dont les drames de l'Histoire rencontrent les blessures intimes, etc ; tout cela m'a profondément touché.
Dans sa critique pour Les Inrockuptibles, Kaganski parle d'un film "au mieux maladroit, au pire obscène", dans lequel Sorrentino "considère le rock comme une maladie infantile" ; je ne suis tellement pas d'accord avec lui que je me suis fendu d'une petite réponse qu'ils ont partagée sur leur site :
"Cher Serge Kaganski,
Oui, les stars du rock et de la pop sont de grands enfants : capricieux, colériques, irresponsables, bagarreurs, déraisonnables, pas fichus de se prendre en charge seuls, capables des pires excès, toujours exposés à la menace d'un accident mortel, sujets à des chagrins gros comme ça qui prennent des proportions existentielles dans leur monde égocentré... Amy Winehouse, Kurt Cobain, Pete Doherty, Axl Rose, Liam Gallagher, Jim Morrison, Madonna, Jimi Hendrix : des sales gosses parmi tant d'autres qui tapent des pieds et foutent des coups de poing dans la tronche à tout ce qui bouge s'ils ne sont pas contents, qui ont besoin d'une assistante pour lacer leurs chaussures, qui refusent de monter sur scène comme on fait un caca nerveux, qui exigent que dans leur loge le jambon soit coupé en petits dés, qui ont des envies de mourir quand ils sont malheureux parce que la vie c'est vraiment trop injuste et qui n'ont pas appris à boire comme les grandes personnes, si bien qu'ils s'étouffent dans leur vomi dès qu'on les laisse picoler sans surveillance.
Le personnage de Cheyenne, brillamment incarné par Sean Penn, leur ressemble, avec son look à la Robert Smith (qui continue de se maquiller comme un ado gothique à cinquante ans) et sa démarche cassée à la Ozzy Osbourne, avec sa peur de l'avion, son rire d'enfant timide, ses moues boudeuses, son regard rêveur. Et lorsque Paolo Sorrentino, à la fin de son très beau film, nous le montre habillé "correctement" et les cheveux courts, il ne nous dit pas que son héros est enfin sorti d'une maladie infantile, mais tout simplement qu'il est enfin devenu l'adulte que les stars du rock et de la pop ne seront jamais tout à fait.
This must be the place est un film sur l'acceptation de soi, du temps qui passe, des rêves de reconnaissance que l'on n'atteindra plus, une oeuvre délicate et aérienne qui traite de la maladresse de l'amour entre les pères et leurs fils, un spleen vaporeux traversé par les fulgurances d'un humour fragile et bercé par la musique mélancolique de David Byrne. Dans ce film où les traumas de l'Histoire se cognent aux blessures intimes, il n'est pas question d'obscénité mais de réconciliation : lorsque Cheyenne expose le corps nu et décharné du vieux nazi au froid au lieu de le tuer comme il était venu le faire, il renonce à ses caprices de vieux gosse, fait la paix avec un père autoritaire et accepte de grandir un peu pour rejoindre un monde où il faut être adulte pour vivre raisonnablement et accepter le deuil."