Pâté en croupe
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le 22 mars 2018
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Je n'accorde habituellement que très peu de crédit au vieux débat clivant qui oppose bêtement cinéma populaire et cinéma d'auteur (comme si les deux étaient deux genres définitivement distincts et irréconciliables, comme si une comédie connaissant un franc succès était toujours la fabrication d'un studio sans âme, comme si une oeuvre personnelle et exigeante ne devait jamais toucher un large public...) et aux sirènes hurlant qu'une certaine critique cracherait automatiquement sur les mêmes films tout en encensant automatiquement les mêmes autres films.
Mais que Les Inrocks condamnent Dubosc et ses quelques plans sexy dans Tout le monde debout, y voyant une manière vulgaire et sexiste de cadrer les femmes, tout en louant par ailleurs la quasi pornographie de Kechiche comme une ode naturaliste à la sensualité féminine, c'est vraiment du foutage de gueule et, pour le coup, c'est tomber franchement dans l'écueil d'une intelligentsia parisianiste caricaturale qui reproche au "beauf" exactement ce qu'elle encense chez "l'intello".
Cinq ans après avoir fait montre d'un voyeurisme malaisant pour filmer les nombreuses scènes de cul dans La vie d'Adèle, Kechiche pousse encore plus loin le curseur, usant de son statut de réalisateur multi récompensé révélateur de talents pour continuer d'assouvir ses pulsions de vieil hétéro de base. Après avoir casté de nouvelles beautés adolescentes physiquement plus spectaculaires les unes que les autres (Ophélie Bau surtout, à la plantureuse silhouette fellinienne), Kechiche leur ôte toute pudeur et les exhibe sous toutes les coutures : mini shorts, maillots de bain ultra sexy, danses lascives et suggestives (je ne me souvenais pas que les filles twerkaient en 1994...), baise bruyante, roulage de pelle saphique, douche nue...
Tout ça à grands renforts de mouvements de caméra racoleurs, de gros plans insistants sur les fesses et les seins, de contre-plongées pour passer sous les jupes. En somme, une mise en scène faisant penser que si pour Godard "le travelling est affaire de morale", chez Kechiche le panoramique vertical est affaire de vice.
Si l’œil goguenard trouvera son compte dans l'érotisme créé par une caméra libidineuse s'attardant éhontément sur les corps rêvés d'une jeunesse idéale, il aura plus de mal à se satisfaire d'une histoire minimaliste qui ne doit sa durée injustifiée qu'à une épuisante dynamique de répétition et une réalisation qui en fait des caisses dans sa prétention de "filmer le vrai" tout en lui donnant des airs de clip trop parfait.
Toutes les scènes en extérieur sont éblouies par un soleil systématiquement cadré derrière les acteurs, parfois de manière tellement forcée que l'on se croirait dans un Michael Bay. Des séquences sans intérêt sont étirées de manière totalement déraisonnable (cf. l'accouchement de la brebis : un quart d'heure de pur docu animalier !) et répétées à l'envi : ainsi, sur trois heures de film, on comptera une quarantaine de minutes de danse festive, presque autant de jeux de plage, plusieurs scènes où les personnages mangent salement des pâtes aux tomates (un écho de La vie d'Adèle, qui semble trahir un fétiche bizarre du réalisateur), des redites dans les dialogues de commérage...
Et lorsqu'enfin on espère arriver à une sorte de dénouement consistant qui viendrait récompenser notre résistance à l'épreuve, ou au moins voir enfin cette séquence tant attendue de shooting photo nu (car le génie pervers de Kechiche consiste justement à contaminer le spectateur qui n'aurait pas abandonné en cours de route et à rendre son regard aussi graveleux et affamé de chair fraîche que le sien), le film, vendu comme le premier chapitre d'une saga, se conclue abruptement sur deux jeunes qui parlent d'aller se cuisiner des pâtes aux tomates (si si, j'te jure).
Dans la salle, j'ai entendu une spectatrice souffler pour elle-même "Qu'est-ce que c'est que ce film ?" avant de rejoindre ceux qui étaient partis avant la fin. Je suis resté jusqu'au bout et je serais bien en peine de répondre à cette question.
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le 27 mars 2018
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