Un néon. Une bouteille vide. Une gouttière. Un hôpital, aussi. Un bar, une pluie battante, une machine à laver et l'ombre d'un mort, figée au mur comme un dernier souffle. Puis une boîte à musique. Une vitre. La même vitre, brisée par le coup de feu d'une amante susceptible. Entre les deux, une piste d'atterrissage. Puis le ciel, les nuages, qui viennent et reviennent comme une éternelle gueule de bois. Au milieu de cette bourrasque, deux hommes, l'un garde du corps à la petite semaine, le second truand repenti, chacun entiché d'une femme enceinte. Suivre leurs pas, c'est contempler les cieux qui embrassent le centre de la terre. Avec, autour de nous, le son qui danse pour lui-même. L'oreille s'en accommode et l'esprit se découvre de nouveaux réflexes, aussi sûrement que si l'on apprenait une nouvelle grammaire en 2h chrono. Tout cela est impossible. Tout cela tient du miracle.
Time & Tide, c'est la preuve éclatante que le cinéma d'action est une forme d'art. Permettre à un bonhomme comme Tsui Hark d'en prendre le contrôle, c'est lui donner la permission de vous retourner le système nerveux. Ce type vient forcément du passé. Le Big Bang, il y était. Il l'a regardé de près, et il a attendu que le cinéma soit assez solide pour survivre à ses idées. Celles d'un monde où tout se connecte, le beau comme le hideux, la noblesse comme la vilénie, la vitesse comme l'immobilité, l'infiniment grand et l'infiniment petit. Time & Tide n'aime pas la frime, il préfère l'expérimentation. Tsui Hark sait tout mais préfère tout ignorer. Il veut réapprendre à composer un cadre, à jouer des angles morts. Il organise la désorganisation, sublime le décadrage et brûle les conventions.
Son film est un manifeste, celui d'un vieux sage en crise avec son monde intérieur. Sans mouvement, il sait qu'il mourra sur place. Alors il explore, il se met constamment au défi, d'un décor à l'autre. Pas de facilité qui tienne. Son climax, réparti sur trois lieux où s'accomplissent un nombre incalculable d'exploits filmiques, dure quarante-cinq minutes. Un prodige de montage qui ne laisse jamais deviner le plan suivant. Déséquilibre et contrôle, en osmose. Time & Tide n'est pas une prouesse rythmique, il est le rythme. Celui d'un flingue enrayé. Celui de la descente en rappel d'une HLM. Celui du coeur d'un nouveau né qui n'a pas encore poussé son premier cri. Ivresse des sens, force des images, surpuissance du son. Et des mots qui ont leur importance. Le dernier, "espoir", serait pure niaiserie si Tsui Hark ne s'était pas débrouillé pour que le héros, en 2h, ne tire en fait pas un seul coup de feu.
Time & Tide, c'est un style sans cesse mis en morceaux puis raccommodé, une symphonie virtuose qui tire une rafale de cartouches, leur court après, les dépasse et leur met même un tour de piste dans la vue en un raccord bien senti. Ce film-là, c'est l'équivalent filmique du Sacre du printemps de Stravisnsky. Un truc désespérément créatif, une plongée dans la boîte de Pandore. Avec le sourire aux lèvres, le sang qui bouillonne et la fleur au fusil. C'est unique, foudroyant, beau comme une jeune femme qui ferait taire la folie des hommes en un sourire radieux.