De même que Serpico proposait un regard nouveau sur la mythologie du flic, Un après-midi de chien propose de décaper l’aura du braqueur. Tous deux inspirés d’une histoire vraie, tous deux portés par un Pacino habité, ces deux films pourraient être considérés comme un diptyque abrasif sur les légendes hollywoodiennes.
La première tonalité du film est celle de la comédie. Ratés, maladresses s’accumulent au fil d’un braquage durant lequel l’instigateur ne cesse pourtant de montrer sa connaissance du terrain. Poseur, enthousiasmé par son propre effroi, il compense sa gaucherie par une chorégraphie hystérique. A côté de lui, Cazale aussi mutique que limité semble reprendre son rôle lunaire du Parrain.
Très vite, le pactole avorté est oublié au profit de ce spectacle nouveau et la logique du récit se déplace : ce qui compte désormais, c’est l’échange entre un huis clos tout en travelings latéraux et l’extérieur aux amples prises de vues, souvent en plongée vue du ciel. Au dehors, l’amateurisme semble être le même : on menotte un otage libéré, sans doute parce qu’il est noir, on éructe des ordres à tout va. A l’intérieur, Lumet s’attarde épisodiquement et avec une authenticité remarquable sur les otages : amusés, exténués, voire autoritaires et parentaux avec le malfrat débutant.
De ce ridicule généralisé, une troisième instance va se délecter : le public. Foule qui converge en masse vers le lieu de l’événement, réactive et partisane, elle achève la désacralisation des enjeux traditionnels. Pas de manichéisme, seul le divertissement compte : car si l’on braque des flingues sur les preneurs d’otage, les caméras prennent vite le relai. Le livreur de pizza devient une star, et Sonny galvanise la foule ravie de voir en lui un prêtre contestataire.
Tout se digère, se récupère et s’exploite : Lumet le dira de façon encore plus claire dans Network, mais l’annonce ici. La participation des médias, l’intervention des proches de Sonny qui semblent venir sur le plateau d’un reality show déballer la médiocrité de leur existence conduisent le récit vers la farce satirique.
Lorsque la tension semble se décanter, c’est pour laisser affleurer les nœuds du drame. Motifs confus, sexualité parallèle, la tentative de dérouler l’écheveau complexe de la personnalité de Sonny met en échec les autorités tout en émouvant le spectateur. La prise d’otage devient le centre névralgique d’une névrose qui semble contaminer la ville tout entière, et que rien ne semble pouvoir vraiment circonscrire. Dès lors, c’est la dilatation et l’épuisement qui prennent en charge le rythme. Les visages en sueur (une constante chez Lumet), la faim, la fatigue étirent le temps et diffèrent un dénouement qu’on sait par avance dramatique.
Fidèle à ses principes, Lumet prend son temps, ne s’embarrasse pas d’effets superfétatoires comme la musique, et progresse pratiquement en temps réel.
[Spoils]
Aux éructations, aux aboiements du chien fou succède une parole plus mesurée, qui déborde du cadre, d’abord par téléphone, puis avec la sérénité d’un discours testamentaire. Dès lors, la lente fuite vers l’extérieur ne fait plus illusion, et c’est toujours doté de la même lucidité que Lumet nous conduit au final, sec et tendu comme le réel, stupide et définitif comme une balle dans la tête.
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