Deux ans après leur première association dans Serpico, Sidney Lumet dirige à nouveau Al Pacino en acteur principal dans Un après-midi de chien. Retournant dans la jungle urbaine new-yorkais et son agitation intrinsèque, le metteur en scène se focalise ici sur une paisible banque de Brooklyn et ses environs. Un quasi-retour aux sources pour le réalisateur du légendaire huis-clos Douze hommes en colère.
Brooklyn, au petit matin, trois jeunes entrent dans une banque. C'est un braquage. Les employés, dont un vigile trop âgé pour faire autre chose que tenir la porte, un aimable directeur et une demi-douzaine d'employées. Stevie, l'un des braqueurs, se débine et demande l'autorisation à ses comparses de quitter les lieux dès le début de l'attaque. Ils ne sont plus que deux pour vider les coffres, Sonny, trublion sympathique, et son ami à la mine lugubre, Sal. Très vite repérés, les deux braqueurs amateurs se retrouvent contraints de se retrancher dans la banque et de prendre les employés comme otage après avoir été promptement encerclés par une armada de flics.
La fragilité et l'humanité des braqueurs, en particulier le personnage de Sonny, leur donne rapidement la sympathie des otages et de la foule de badauds attroupée autour de la banque. Al Pacino campe ici un rôle de gangster inhabituel, contrastant fortement avec ses personnages de Michael Corleone, Tony Montana ou encore Carlito Brigante. Car Sonny est un doux et inoffensif branquignol à l'image de la scène où il peine à dégainer son fusil, caché dans une pochette cadeau. La bouche ouverte, haletant, trempé par la chaleur écrasante de cet après-midi d'été, Sonny est complètement dépassé par les évènements, déboussolé par la foule, par les dizaines de canons pointés sur lui à chacune de ses sorties et surtout, par les caméras qui farfouillent dans son passé et son présent, éventrant son intimité pour la donner en pâture à l'insatiable plèbe.
Le personnage de Sal, interprété par John Cazale, immense acteur à la carrière tragiquement courte, contrebalance avec la fougue et le débit de parole de son acolyte. Homme de l'ombre à la mine de chien battu, spectre inquiétant, chacune de ses interventions fait craindre le pire au spectateur, craignant de le voir dézingué les charmants employés de la banque avant de retourner son arme contre son visage de croque-mort en fin de vie.
Ce pour quoi Sonny et Sal prirent les armes, à savoir l'argent, passe rapidement au second plan dans la tête de Sonny. Sous son humanité attachante et son côté chien fou, se trouve également la bêtise et l'imbécilité d'un jeune sans repère d'une classe populaire délaissée, broyée par le système, qui tout à coup devient le centre de l'attention. Les caméras sont braquées sur lui, les journalistes s'intéressent à son passé, la foule clame son nom. Le monde s'intéresse à lui et à son braquage raté. La voici son heure de gloire. La voici sa raison d'être. Au diable le pognon, ces insignifiants bouts de papier qu'il va d'ailleurs finir par jeter au vent, le plus loin possible de lui, désintéressé par ce qu'ils représentent. La richesse est ailleurs. Elle se situe dans le grésillement d'un poste radio et dans le bourdonnement d'un écran de télévision.
Inspiré d'un fait divers qui eut lieu en 1972, Un après-midi de chien sera récompensé de l'Oscar du meilleur scénario original. Lumet, fort de son aura acquise grâce à ses nombreux succès, dénonce au passage l'absurdité et la violence d'une police répressive, usant de la force de manière disproportionnée. Dès le premier échange entre Sonny et le sergent Moretti, l'issue de la confrontation apparaît comme évidente, inéluctable. Et comme disait Lennon dans sa chanson Attica State :
What a waste of human power
What a waste of human lives