Avoir entendu le nom de Robert Bresson parmi les références cinématographiques d’Andreï Tarkovski m’avait mis la puce à l’oreille depuis longtemps. Le cinéma français n’est pas avare en grands auteurs capables de remettre en question les canons du cinéma pour apporter de nouvelles visions du septième art et le nourrir de leur fibre artistique. Bresson fait partie de ceux-là, et j’ai choisi Un condamné à mort s’est échappé, film qu’il a présenté au Festival de Cannes de 1956 où il remporta le prix de la mise en scène, pour découvrir l’oeuvre du cinéaste.
Les films se déroulant en prison sont légion, d’origines et d’époques diverses et variées. L’univers carcéral, le cadre de la cellule et de la prison, sont idéaux pour mettre l’Homme face à ses propres tourments. Privé de sa liberté, droit fondamental et essentiel, il fait face à une entrave dont il doit se débarrasser instinctivement. Ici, Bresson nous le fait rapidement comprendre, à travers le personnage de Fontaine, dont une des premières actions du film sera de s’échapper, sans succès, de la voiture qui le conduit à la prison. Tout le déroulé du film s’articule autour de cette volonté de s’en sortir, avec les discussions avec le voisin de cellule, les regards vers l’extérieur à travers les barreaux et la communication et les échanges avec les trois hommes qui déambulent dehors et aident Fontaine. La résignation est très présente parmi les prisonniers, elle les ronge, elle fait même douter Fontaine, mais le besoin de liberté est trop fort.
Cette quête de liberté se lit, au fil du film, à travers trois axes principaux : la liberté de l’individu, la liberté spirituelle et la liberté politique. Tout d’abord, comme dit précédemment, Fontaine fait preuve d’une détermination quasiment infaillible et d’une grande ingéniosité pour échafauder son plan d’évasion. Ensuite, sur son chemin, il croise notamment un pasteur et un abbé, permettant quelques échanges et prises de conscience sur la spiritualité, affublant quasiment la mission de Fontaine d’une étiquette de mission divine. A travers son combat contre la privation de liberté et contre lui-même et ses propres démons, c’est le salut de sa propre âme qui est au bout de cette évasion. Enfin, le film se déroulant dans un contexte de guerre, il y a aussi la volonté, à travers cette évasion, d’échapper au joug politique des allemands qui occupent alors la France. Tout comme résister, lutter pour survivre et retrouver la liberté est un devoir. Bresson le capture de la manière la plus authentique possible, avec une rigueur quasi-scientifique, et une réalisation très austère mais pas moins captivante pour autant.
Dans Un condamné à mort s’est échappé, Bresson évite toute forme de superflu pouvant dénaturer son film. Son objectif est de nous faire nous concentrer sur l’intrigue et des éléments permettant de mieux faire émaner son discours, plus que de nous faire suivre un simple plan d’évasion. La voix off omniprésente de François Leterrier nous immerge dans ses pensées et nous isolent avec lui, créant un sentiment de solitude étouffant malgré les interactions avec les autres détenus. C’est un moyen souvent utilisé chez Bresson, qui installe une forme de proximité avec le héros, mais qui contribue aussi à ce travail d’introspection et de dépouillement du récit. Une manière, aussi, d’exposer au mieux un plan extrêmement minutieux, qui n’est pas sans nous rappeler un autre grand film français. Bien que différent sur divers points, le film de Bresson fait penser au futur Trou de Jacques Becker, dans ce découpage et ce processus très méthodique, faisant fi du superflu pour être le plus réaliste possible.
Avec Un condamné à mort s’est échappé, Robert Bresson montre sa capacité à mettre en scène une histoire authentique, à la tourner de la façon la plus naturelle possible pour ne pas dénaturer son oeuvre, tout en dotant son écriture d’une profondeur et d’une pertinence suffisantes pour faire transparaître de nombreux éléments de discours. Un condamné à mort s’est échappé, malgré son intrigue très simple, et son austérité et sa simplicité apparentes, et grâce à sa mise en scène et à son écriture, véhicule un puissant discours sur la détermination et le courage nécessaires à notre aspiration naturelle à la liberté, qui ne s’exprime pas qu’en temps de guerre, mais aussi au quotidien.