Il existe peu de sujets aussi casse-gueules que la Révolution au cinéma. Alors que les films en costume «aristocratiques» comme les récents Les Adieux à la reine ou Mademoiselle de Joncquières se structurent sur un ou deux personnages et parviennent souvent à une certaine intimité et une profondeur des dialogues ou de l'interprétation, les films en costumes «révolutionnaires» sont souvent plus éclatés. Il y a plusieurs raisons à cela : la Révolution s'étend sur de nombreuses années avec beaucoup d'événements et il faut toujours faire un tri. Elle est composée d'une multitude de protagonistes. Et puis il y a évidemment la controverse politique qui est encore très vive en ce début de XXIe siècle (en ce que choisir un personnage plutôt qu'un autre « orienterait » le film politiquement)
Les films marquants sur la Révolution jusqu'ici ont toujours plus ou moins botté en touche : La Marseillaise (1938) de Renoir - et financé par la CGT - a voulu parler du Front populaire au travers de la Révolution. Dans sa description du face-à-face entre Robespierre et Danton, Wajda parle surtout dans Danton (1983) de l'affrontement (assez manichéen et vampirisé par Depardieu) entre Jaruzelski et Lech Wałęsa en Pologne communiste. D'autres films prennent systématiquement un point de vue étranger : britannique dans Le Marquis de Saint-Évremont (1935), italien dans La Nuit de Varennes (1982), international voire américain dans le très académique La Révolution française (1989). Et même dans le déconnant Les Mariés de l'An Deux (1971) ou le sympathique Chouans (1988), le personnage central revient des Amériques, sans parler du rohmérien L'Anglaise et le Duc (2001) qui décrit le quotidien d'une royaliste britannique vivant en France. On parle donc souvent de quelque chose d'autre que la Révolution française vue «par le peuple pour le peuple» selon l'expression consacrée ; on attaque rarement le sujet de front et dans toute son ampleur.
C'est donc ce qu'a tenté ce film. Au premier visionnage au cinéma, j'ai été très dubitatif ; je le trouvais inégal ; trop didactique et surtout partant dans tous les sens, sans qu'on s'attache réellement à un personnage ni à un fil d'ariane scénaristique. L'ayant revu maintenant plusieurs fois à la maison, je dois dire que je l'apprécie davantage à chaque visionnage.
Il traite donc des quatre années qui s'écoulent entre la prise de la Bastille (1789) et la mort du Roi (1793). Il partage son propos entre des gens du peuple logeant près de la Bastille et les séances à l'Assemblée nationale, avec quelques scènes du Roi et de la Reine.
Alors effectivement il y a beaucoup de monde et on peine à se trouver «un héros» comme dans un film américain de Ridley Scott (Les Duellistes (1977) ou Gladiator (2000)) ou de Mel Gibson (Braveheart (1995) ou The Patriot (2000)). Mais ce n'est de toute évidence pas le propos du réalisateur Pierre Schoeller : les personnages forment tous une sorte de mosaïque pour servir le propos central, la baisse de confiance progressive d'un peuple envers son Roi qui va naturellement entraîner l'avènement de la République. En cela, le titre est très bien choisi. Le film insiste bien sur le fait que le Roi était une figure initialement aimée voire révérée par le peuple ; Et dès le début, les lavandières qu'incarnent Izïa Higelin, Céline Salette ou Adèle Haenel comptent sur le Roi pour leur donner du pain. Elles veulent que le Roi quitte la corruption de Versailles et revienne à Paris, parmi son peuple, pour qu'il se rapproche d'elles, pour qu'il prête enfin une oreille à leurs revendications.
Le film ne se montre pas pour autant anti-royaliste, en dépeignant un Louis Capet (joué par Laurent Lafitte) profondément humain, digne et réfléchi, certes déconnecté dans sa tour d'ivoire mais pouvait-il en être autrement ? On le voit subissant avec regret mais aussi philosophie les événements. Un des moments assez génial du film est son cauchemar où ses illustres ancêtres (d'Henri de Navarre à Louis XIV en passant par Louis XI joué par feu Serge Merlin alias l'Homme de verre dans Amélie Poulain) lui reprochent sa faiblesse, ce qui est une manière logique d'expliquer sa désertion du lendemain, restée largement une énigme historique. Il sera donc rattrapé à Varennes, et deviendra méprisé par un peuple qui dès lors jurera fidélité à l'Assemblée. Le début de la fin pour le Souverain du Royaume de France... Tout cet épisode est très bien rendu à l'écran, d'une manière non pas manichéenne comme le ferait un film américain mais en rendant compte que les forces, les déterminismes et le déroulé des événements eux-mêmes dépassent souvent largement les protagonistes qui les vivent.
Le reste du film sera largement consacré aux allocutions des députés à l'Assemblée. On remarque certes la folie de Marat et le lyrisme de Robespierre (joués excellemment par Denis Lavant et Louis Garrel), mais ils n'éclipsent en aucun cas les autres intervenants, de Sieyès à Camille Desmoulins, de Condorcet à Barnave en passant par Danton. Tous et bien d'autres ont droit à la parole, en respectant assez fidèlement la lettre et l'esprit de leurs discours de l'époque.
C'est d'ailleurs cela qui m'a le plus choqué de prime abord : la langue parlée dans le film est singulière, étrange. Elle n'est pas forcément toujours limpide ni familière. Il peut être utile d'activer des sous-titres pour remarquer l'emploi de terme tels que «gros peccata» (un grand sot, un idiot), «Chanson!» (N'importe quoi ! Foutaises !), «Sapergué!» (Sapristi!), «Sacredié» (Sacredieu!), «un setier de blé» (150 kg de blé), «un roi caté» (un roi acheté) ou des tournures de phrase telles que «Ne vous laissez toucher ni à ses larmes ni à ses promesses» (avec "à" au lieu de "par"). En effet, Schoeller a décidé de citer certaines personnes dans le texte et d'utiliser des expressions d'époque (même s'il a tout de même dû simplifier et actualiser en évitant les doubles négations, par exemple). D'un premier abord, c'est déstabilisant et irritant, mais dans une lecture plus attentive et intéressée, elle offre un plongeon plus authentique dans l'ambiance d'alors. Il peut être intéressant de voir Un peuple et son roi juste après avoir visionné Ridicule (1996), chef d'œuvre sur la subtile et métaphorique langue aristocratique dans l'ère pré-révolutionnaire, qui pouvait se révéler élitiste et très moqueuse, voire humiliante. À la fin de Ridicule, le noble réfugié en Angleterre et joué par Jean Rochefort regrette d'ailleurs que « l'éloquence bouffie des Danton et des Saint-Just [ait] remplacé le bel esprit ». C'est révélateur en ce que le changement de régime a aussi été accompagné d'un profond changement de langage, et donc de mœurs.
La mise en scène ne manque elle aussi pas de souffle, avec de vrais beaux moments épiques. On peut regretter une caméra parfois trop statique ou des plans trop rapprochés (la prise de la Bastille, l'insurrection du 10 août 1792...). Il ne faut quand même pas oublier qu'on est dans un « petit » film de 20 millions d'euros, pas dans un blockbuster surnumérisé à 500 millions de dollars. Et puis dans un sens, on peut aussi se réjouir de ne voir justement que peu d'images de synthèse, et que les plans rapprochés permettent de se sentir «dans» l'histoire. La symbolique est aussi utilisée à plusieurs reprises, comme au début quand la destruction de la Bastille permet à la rue en contrebas d'être enfin éclairée par le soleil, une manière élégante de faire allusion à l'avènement des Lumières. La petite Clémence qui danse dans une pluie de plumes d'oies provenant de coussins éventrés et secoués depuis les fenêtres des appartements aristo est aussi une puissante image révolutionnaire.
Le film est donc habité, malgré le fait qu'on ne puisse vraiment s'identifier à nul en particulier. Des plans sont d'une beauté à couper le souffle. Les costumes sont d'une élégance rare.
La mort du Roi à la fin est du grand spectacle, bien mieux rendu que dans La Révolution française (1989). Mais c'est surtout à l'occasion de chansons comme Enfin v'la donc que le roi, Ah ça ira ou La Trahison punie que l'immersion émotionnelle dans cette époque charnière est réussie. La musique en générale est très bien dosée et finement choisie pour mettre en valeur un moment donné, comme la première visite chez le Roi au début.
Outre les défauts de ses qualités cités plus haut, il ne faut pas non plus passer sous silence les vraies faiblesses du film : des erreurs incidentes de montage le desservent. Certains dialogues, notamment au début, tombent à brûle-pourpoint et sonnent faux, notamment ceux récités par les gens du peuple. On peut reprocher au film parfois trop de didactisme et des longueurs au milieu. Le personnage de Gaspard Ulliel qui est quasiment muet n'offre aucun intérêt autre que de servir de compagnon à Adèle Haenel. Il est une vraie potiche. On peut arguer qu'il sert l'histoire mais on aurait pu tout de même lui donner un chouilla plus d'épaisseur.
Bref, finalement Un peuple et son roi est un très bon cru sur la Révolution française. Assez équilibré politiquement sans héroïser un personnage plus qu'un autre, en faisant un riche portrait d'un Roi et des ambivalences du peuple et des députés. Un film ample, couvrant toutes les dates charnières et les personnages clés de la période considérée avec une exactitude historique assez honnête. On est néanmoins pas dans l'académisme et la rigidité scolaire d'un film comme La Révolution française (1989) et le film s'offre de belles scènes épiques et romancées qui en fait un divertissement de bon aloi, si l'on sait passer outre les défauts de ses qualités.
Schoeller dit avoir prévu une suite, qui traitera de la Terreur après la mort du Roi. Espérons que les producteurs soient d'accord...