"Louis doit mourir pour que la patrie vive".
C'est Robespierre, interprété par un sobre et excellent Louis Garrel, qui exprime, dans un discours qu'il a réellement prononcé en 1792, l'enjeu du film et l'enjeu de la Révolution elle-même. Un peuple et son roi, c'est l'histoire de deux entités irréconciliables, qui peu-à-peu vont divorcer. Robespierre l'explique plus précisément. Ce n'est pas une histoire de personne. Ce n'est pas une question d'amour ou de haine pour le roi, c'est une question de politique. Il faut que l'un meure pour que l'autre vive. C'est une passation de pouvoir, inéluctable, inexorable. Bien entendu en 1789 quand tout commence, c'est un roi et son peuple, c'est cette hiérarchie immuable qui prédomine depuis des siècles. Mais en 1792 lorsque Louis XVI monte sur l'échafaud, c'est un peuple et son roi, jusqu'au crime suprême, le régicide. En 3 ans, le rapport de force s'est inversé.
De ce jeu de pouvoir, décisif, Pierre Schoeller fait le sujet de son film. Tout commence par une scène remarquable où Louis XVI, Laurent Laffite, lave les pieds des pauvres, psalmodiant des paroles d'Evangile qui peu ou proue rappellent la mission du roi et de Dieu : le seigneur n'est pas venu pour être servi mais pour servir. Le roi n'est que le serviteur de son Dieu et de son peuple. Mais tout cela est paradoxal puisque tout se passe dans un salon doré où la table est dressée comme pour un festin, à mille lieux de la misère qui a pénétré le salon, à savoir des enfants pauvres qui ont revêtu une aube rouge et qu'on a lavé au préalable, parce qu'il faut être présentable. La mise en scène suggère déjà les paradoxes, les difficultés d'un pouvoir royal à bout de souffle. Cette scène montre l'ultime emprise du roi sur le peuple. Il se met à genoux, et baise les pieds de ses sujets, mais dans les fastes de son palais. Ce n'est pas lui qui vient au peuple, c'est le peuple qui vient à lui. La scène finale inversera le rapport de force. On ramènera le roi à Paris puis on lui fera monter l'échafaud avant de lui trancher crûment la tête. On passera des pieds à la tête, de la servitude à la liberté.
Puis, aux scènes avec le roi s'opposent les scènes avec le peuple. On découvre ainsi le coeur de la Révolution parisienne avec le quartier du Faubourg Saint-Antoine aux pieds de la Bastille. Des misérables et des artisans y vivent - historiquement c'est un des foyers de la Révolution avec les émeutes Réveillon, une manufacture du quartier en 1789, un verrier (Olivier Gourmet, parfait comme à son habitude) qui travaille dans l'ombre de la forteresse de la Bastille, des lavendières (Adèle Haenel, Isia Higelin, Céline Sallette), des orphelines, des filles de rien, des garçons pauvres et sales, souvent illettrés. Les femmes ont un rôle majeur et le film leur rend hommage. Le portrait est cependant assez classique, presque survolé hélàs. Les personnages sont des symboles, des allégories, comme aimait en faire la Révolution. Il y a le pauvre qui a vu le roi à Varenne et qu'on érige en héros, il y a la Lavandière innoncente qui meurt sous les balles de la police, il y a le verrier qui devient aveugle en prenant d'assaut les Tuileries, le prix de la liberté. Eux aussi sont pris dans les soubresauts de la Révolution.On croirait du Hugo, avec des personnages symboliques. Ils sont dedans et dehors tout à la fois, c'est à dire qu'ils font et suivent des évènements qui les dépassent, et les arrachent surtout de leur quotidien misérable. Ils sont en colère. Une colère brute, que les révolutionnaires, bourgeois, cultivés, politisés, vont utiliser, façonner, pour prendre le pouvoir et renverser la hiérarchie sociale. Le petit peuple au fond n'est que le bras armé de la bourgeoisie pour détrôner l'ancien monde, l'ancien régime. Pierre Schoeller fait des choix, il montre des partisans de la révolution, pas de Charlotte Corday, pas de royalistes, pas de chouans. Il veut remettre le peuple au coeur de la révolution. Un peuple allégorique ici et forcément un peu image d'Epinal.
La mise en scène est en revanche somptueuse : éclairage à la bougie, costumes et décors très réalistes, très documentés. La vie de l'époque, très fidèle, passe notamment par les chansons populaires et révolutionnaires qui disent beaucoup de l'atmosphère d'alors, de la liberté qui planait, des espoirs permis. Tout regorge de détails qui rendent vivant l'ensemble.
On trouve aussi de nombreux révolutionnaires que l'on prend plaisir à suivre dans leurs tractations à l'assemblée constituante : le terrible Marat - presque terrifiant (Denis Lavant), l'éloquent Danton, l'absolutiste Saint-Just, le flegmatique Robespierre. Eux aussi une facette, une idée, un idéal de la Révolution. Les figures défilent à la barre, dans la confusion logique de l'époque, et se déchirent sur le sort de Louis XVI. Peu à peu, la figure adulée et intouchable du roi se farde et finie par s'enterrer d'elle-même, jouant à un jeu de pouvoir qu'elle ne peut gagner. Le processus, l'engrenage de la Révolution se parachève (en théorie) par sa mort.
Les deux mondes sont inconciliables, l'ancien et le nouveau régime. Le roi, dans une vision superbement mise en scène, se voit sermoner par ses ancêtres Bourbons qui le traitent de lâche, d'incapable. Il a cédé au peuple. Il a cédé au complot républicain. Il doit se ressaisir. Mais trop tard.
L'engrenage, la marche de l'histoire, est si impitoyable qu'on peine à suivre. Le film apparait presque confus par moment. Les évènements s'enchainent, les députés sont dépassés par leurs propres idées, le peuple ne sait pas vraiment ce qu'il veut, du pain, une démocratie, la mort du roi, cela varie, selon la mode du moment, mais veut toujours plus, d'une miche de pain à la tête de Louis Capet. Les séances à l'Assemblée sont d'ailleurs assez passionnantes puisqu'on suit différentes visions de la République et de la Révolution sans que personne ne parvienne à la stopper ou à se modérer dans les faits. Il y a la théorie, les beaux discours, et la réalité.
Le film ne juge pas. C'est louable. Il n'est pas une hagiographie dans un sens ou dans l'autre. Il montre un système et une passation violente de pouvoir. Il n'épargne pas d'ailleurs sa mise en scène de violence : la scène de la fusillade du Champs de Mars est rude, celle de l'attaque des Tuileries aussi, et la décapitation de Louis XVI est montrée dans toute sa cruauté. Louis XVI n'est ni un porc, ni un monstre ici. Laurent Laffite chausse parfaitement le personnage, déjà par la taille, car Louis XVI était très grand, mais surtout parce qu'il montre un homme impuissant, en proie au doute, ni bon ni mauvais, tout simplement humain et lui aussi, malgré sa divine mission, dépassé par les évènements. La famille royale, en arrière plan, souffre et les partisans du roi s'éclipsent. Leur destin n'est pas explicité, mais on le connait et cela donne une dimension tragique à la fin de la monarchie. Le sujet est pourtant le roi comme entité, pas comme être humain mais beaucoup d'humanité ressort du personnage incarné par Laffite, c'est tout le paradoxe, c'est toute sa force.
Une scène montre d'ailleurs une désacralisation totale du monarque lors de la fuite à Varenne, comme s'il avait perdu lui-même toute dignité à cet instant. Gaspard Ulliel, un jeune paysan orphelin, tombe sur le convoi royal de retour vers Paris. Il voit alors la famille royale en train de faire ses besoins dans un champ voisin, Louis XVI aidant sa fille à faire la petite commission, rendue peu commode à cause des robes prodigieuses, sous le regard des badauds. L'étiquette versaillaise est ici inversée. Le voyeurisme de Versailles devient ici le voyeurisme d'un peuple envers son roi, roi rendu à l'état de nature, presque rousseauiste, pathétique, presque minable et qui pourtant touche la tête du jeune paysan qui ferme les yeux, béni par le dieu qu'il adule encore et qu'il finira par envoyer à l'échafaud.
D'ailleurs les symboles abreuvent le film, souvent avec des scènes frappantes, l'ouverture mais aussi le démantèlement de la Bastille qui laisse place à une lumière irradiante, le verre qu'on façonne comme la République que l'on modèle, un bébé nommé Louise-Egalité en hommage à la Révolution, né dans une douleur atroce, comme pour signifier la difficile et violente naissance des droits et de la liberté.
La Révolution est une machine qui s'est emballée, dépassant ses partisans et ses créateurs. La Révolution n'est qu'un engrenage qui dépasse les destins ordinaires pour transformer l'histoire universelle. Ce n'est pas tant un film politique qu'un film sur la politique, sur ses effets, sur ses paradoxes. Le sujet, Pierrer Schoeller l'avait déjà avec brio exploré avec L'exercice du pouvoir. Ici, avec moins de clarté sur le fond, avec un propos plus brouillon qui ne manquera pas de diviser, sans doute parce que la fresque est très ambitieuse, sans doute parce que le film est un peu trop symboliste, mais avec une mise en scène superbe, il continue, en auteur, à explorer inexorablement le même sujet, les méandres de la politique et l'exercice du pouvoir.