Dès « Versailles » (2008), puis à travers « L’Exercice de l’Etat » (2011), Pierre Schoeller avait démontré un sens très subtil des ambiguïtés attachées à l’exercice du pouvoir, que celui-ci soit de nature royale ou démocratique. Regard rarement porté dans notre hexagone, où le pouvoir est volontiers dénoncé pour ses abus, P. Schoeller osait envisager un appareil étatique pourvoyeur de protection, une protection espérée par un petit enfant, dans le film de 2008, ou réduite à l’impuissance, dans celui de 2011, d’où la traversée d’une crise.
Le nouvel opus du grand réalisateur s’ouvre dans la droite ligne de cette subversive réflexion, à Versailles, avec la cérémonie annuelle du lavement des pieds des enfants pauvres par l’auguste roi Louis XVI. Le descendant du Roi Soleil... Suivent des images, somptueuses, des éruptions solaires, puis du verre en fusion soufflé par l’un des grands fidèles du réalisateur, Olivier Gourmet, non plus Ministre comme en 2011, mais verrier de son état, et dénommé L’Oncle. Tout rougeoie, arde, et ne va pas tarder à exploser, imploser, même le pouvoir solaire... On retrouve avec délices tout l’art de Schoeller, son sens des paradoxes, du détail, de la charge signifiante de chaque image.
Et puis tout s’arrête. Le scénario, fidèle au titre, accompagne tour à tour le « peuple » et le « roi », de 1789 à 1793. Paradoxalement, alors que le propos entend visiblement faire la part belle au peuple, c’est le roi qui bénéficie encore d’un peu de subtilité et de nuance. Un roi très silencieux mais grave, interprété par Laurent Lafitte, et accompagné jusqu’au jour de 1793 qui vit son exécution. Un roi tourmenté, sujet à des cauchemars qui fournissent au réalisateur une nouvelle occasion de filmer le rêve - on se souvient de celui, superbe, qui ouvrait « L’Exercice de l’Etat »... - et au spectateur le plaisir de revoir, dans une scène intense et saisissante, Patrick Prejean en Henri IV et Serge Merlin en Louis XI, aux côtés de Louis-Do de Lencquesaing en Louis XIV. Fidèle à ce qu’il exposait dans ses films précédents, P. Schoeller rend sensible le caractère semi-divin du monarque aux yeux du peuple, la puissance effective et symbolique de ses impositions de main, de son approbation aux premières décisions de l’Assemblée révolutionnaire, de son acceptation de quitter Versailles pour installer sa Cour à Paris ; une aura qui pourra d’autant plus violemment se retourner contre lui, lors de sa fuite à Varennes, ou lors des délibérations qui eurent à trancher son sort. Radicale et tragique justification de l’adjectif possessif apparaissant dans le titre : « [...] SON roi »...
Assemblés autour d’Olivier Gourmet, qui a pour compagne de fiction Noémie Lvovsky, les autres représentants du peuple et des partisans révolutionnaires mobilisent la crème des acteurs français de la nouvelle génération : Adèle Haenel en lavandière, Céline Sallette en Reine Audu, vendeuse de harengs, Izïa Higelin en victime innocente, Gaspard Ulliel en voleur grâcié, Louis Garrel en Robespierre, Nils Schneider en Saint-Just, Denis Lavant en Marat... Les débats qui ont secoué les différentes sessions de l’Assemblée sont repris dans le texte, ayant simplement fait l’objet de certaines coupes et réorganisations, suite à un immense travail de recherche et de documentation. Mais c’est dans la figuration du peuple, merveilleusement uni, solidaire, droit, honnête, courageux, uniquement soutenu par des liens d’amour et de transmission, que le film rencontre ses limites... Un seul peuple, en effet, dont la diversité, les contradictions, les violences, les bassesses éventuelles (pourquoi lui seul en serait-il exempt...?) sont gommées. Pour mieux faire oublier les meurtres et le sang qui marquèrent ces années révolutionnaires, P. Schoeller, son chef décorateur Thierry François, et son fidèle directeur de la photographie Julien Hirsch, badigeonnent les scènes populaires et diurnes de teintes pastels, allant des gris-bleu aux ocres, comme si la douceur et la concorde avaient été les traits dominants de ces journées.
L’imposture culmine dans la scène finale, qui présente la décollation de Louis XVI et qui figure la foule, une fois que le couperet est tombé et que la tête sanglante a été exhibée, avec des sourires béats sur les lèvres, comme si « le peuple » tout entier ressentait le soulagement d’un organisme qui s’est débarrassé de la masse qui l’empêchait de respirer. « Ite, missa est... ». Une vision qui entre même en contradiction avec la dimension sacrée qui avait été présentée comme attachée à la personne du roi, et qui aurait impliqué plus de gravité dans le geste sacrificiel qui devait répandre son sang. D’autant que le sacré persiste dans cette exécution à laquelle est accordée une dimension eucharistique, puisque le sang du roi est ensuite projeté sur les ouailles par les mains du bourreau, comme l’eau bénite dispensée par le goupillon. Sacré massacré pour mieux y replonger...?!
On ne désespère toutefois pas de retrouver plus de subtilité et de finesse chez Pierre Schoeller, que l’on considérait jusqu’alors comme l’un des plus grands réalisateurs de sa génération.