"En Chine, quand les grands froids arrivent, dans toutes les rues des villes, on trouve des tas de petits singes égarés sans père ni mère. On sait pas s'ils sont venus là par curiosité ou bien par peur de l'hiver, mais comme tous les gens là-bas croient que même les singes ont une âme, ils donnent tout ce qu'ils ont pour qu'on les ramène dans leur forêt, pour qu'ils trouvent leurs habitudes, leurs amis. C'est pour ça qu'on trouve des trains pleins de petits singes qui remontent vers la jungle..."
Y en a qui vont en Asie. Dans cette Asie Mystérieuse.
Cet Orient impalpable et effrayant pour cet Occident trop Cartésien.
En Chine. Dans cette brume qui borde les rives du Yang-Tsé.
Descendant les eaux bleues d'un fleuve mystique, sur des bateaux ternes, balafrés et guerriers.
Flottant au ras de l'eau, en uniforme de fusilier marin, un uniforme qui colle aux chairs, qui se désagrège au fil du voyage.
C'est l'enivrant voyage vers l'inconnu, vers ce nulle part aux senteurs tendres et pleines de sagesse de ce lotus blanc.
Ce sont des visages entraperçus à travers ces haies interminables de bambou.
Ces enfants piaillant comme des oisillons tombés du nid, ces femmes à chapeaux démesurés, courbées, pieds nus, fouillant, battant leurs mains dans l'eau blanche d'une rizière, pliant sous le poids d'une charge nourricière.
Ces hommes assis entre eux, riant d'une dent, jouant à des jeux incompréhensibles et s'échangeant des billets de toutes les couleurs.
Il y a au détour d'une rue surpeuplée et bruyante, une enseigne délabrée, une porte noire où des gens chantant et titubant sortent, des rêves plein leurs yeux rouges. Une démarche flottante, marchant sur ces petits nuages de fumées opiacées et jetant des fleurs de pavot à ces ombres inconnues, courant sur les murs, effilées comme des pipes à opium...
Et puis il y a le goût du saké. Ce goût qui reste en bouche bien des années après. Qui pour son malheur lui redonne des envies de départ, de l'élan pour reprendre son envol. Mais préférant se couper les ailes en cessant toute activité éthylique que de se servir de ce billet de train maudit qui dort paisiblement dans son porte-feuille.
Il y a aussi ceux qui vont en Espagne.
Cette Espagne incendiaire où les femmes et les âmes s'échauffent aussi vite que la terre brûlée du désert Andalou.
Où le regard noir et profond de l'Espagnol se posant lourdement sur toi est comme un défi, un duel ou un avertissement. L' identité forte et commune d'un peuple morcelé mais solidaire.
Ce sont des villes ouvertes, vivantes. Où les cathédrales de la sévère "Reconquista" trônent, assises et calmes, dans les vestiges grandioses de cet Islam des lumières, visionnaire et bâtisseur.
Ce sont des rues étroites, labyrinthiques, se chevauchant et se perdant entre elles. Ces toits rouges qui se touchent, créant une vie suspendu, des habitations aériennes comme dans Tunis la blanche.
C'est aussi les murs Castillans de Pampelune, écorchés, éventrés par les cornes de ces monstres noirs fumants et écumants, dévalant furieusement les rues pavées de cette cité-arène.
Ces arènes qu'il connaît bien, ces arènes Françaises. Ces arènes mythiques, légendaires, Espagnoles qu'il voudrait conquérir.
Josélito, Manolete et Fouquet inscrit dans le marbre de ce temple du sang et de la couleur.
C'est son souhait, son voyage, son ivresse. Un désir qu'il voudrais partager avec cet enfant, sa fille, son médicament. Son propre sang avec des couettes qui agirait comme un sevrage alcoolique, qui lui permettrait enfin de ne plus voyager allongé dans le fond d'une bouteille mais debout, les yeux pétillants et vissés vers une Espagne se dessinant de mieux en mieux dans le lointain.
" Dis-toi bien que si quelque chose devait me manquer, ce ne serait plus le vin, ce serait l'ivresse ! "
A chacun son voyage ...
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