Un singe en hiver : un chef d’oeuvre à déguster avec modération

Quelle belle rencontre que celle de trois monstres sacrés du Septième art gaulois – Henri Verneuil, Jean Gabin et Jean-Paul Belmondo – et de deux des plus fines plumes de notre littérature contemporaine – Antoine Blondin et Michel Audiard ! Pourtant, innombrables sont les affiches prestigieuses à avoir accouché d'avortons : la grâce ne s’additionne pas et un brillant casting ne préjuge pas d’une œuvre durable.


Or, non seulement Un singe en hiver ne déçoit pas ses promesses, mais Verneuil parvient à allier drame social et franche comédie. Mieux, il obtient l’improbable osmose entre l’immense star et le jeune porte-drapeau de la Nouvelle vague… Il transcende jusqu’aux seconds rôles, Suzanne Flon joue magnifiquement sa partition toute en retenue.


Que reprocher à une telle réussite ? Rien, si ce n’est sa part d’ombre. Antoine Blondin a longtemps écrit comme il vivait, avec légèreté, impertinence et fulgurances… à la recherche d’une félicité impossible. Blondin buvait. Si l’alcool à vingt-cinq ans fait sourire ; Bébel excelle dans cet exercice ; de mémoire de noctambule, nul ne vit de vieil ivrogne arborer le panache triomphant d’un Gabin mûrissant. Les dernières années de Blondin furent pathétiques. Effrayés, ses ultimes amis le fuyaient. Il est mort seul, définitivement seul. Blondin construit son roman autour de l’idée, sa grande espérance, que l’amitié serait insoluble dans l’alcool. L'eau-de-vie délirait les langues, l’imaginaire et les talents… et favoriserait les rencontres. Hélas, si le drogué est triste, l’alcoolique chronique est seul. Une épopée nocturne, immobile et individuelle est certes possible, en Chine ou en Espagne, à vélo ou sur une jonque, mais les réveils sont solitaires et douloureux. L’âge accentue la difficulté. L’organisme vieillit, se dérègle et la béance entre vie rêvée et réalité s’accentue. Malheur au singe isolé dans Paris, l’hiver lui sera fatal.


J’ai bien conscience que ma critique pèche par sa noirceur. À ma décharge, J’invoquerai mon affection pour Blondin et, peut-être, une morale trop stricte. J’entends Blondin éclater de rire à tant de sottises. Le film demeure magnifique, Gabin et Bébel sont radieux. Foncez !


2019

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le 27 août 2015

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Step de Boisse

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