A Star is Born incarne la tragédie musicale par excellence doublée d’une satire complexe de la machine à rêve où la star du jour est le suicidé de demain. A la fois glorification d’une époque révolue (Hollywood et son Age d’Or) et délicat réquisitoire des destructeurs de rêves qu’interprètent les immenses studios hollywoodiens, la critique de George Cuckor se fait d’une cruauté insupportable sous ses airs enchanteurs. Le Star Sytem détruit tout ce qu’il touche à l’image de la carrière anéantie de Buster Keaton lors de son incorporation à la MGM, brisant son indépendance créative. Par conséquent, l’émerveillement apparent des tableaux Minneliesque se fait tragédie silencieuse d’une célébrité éphémère, déclin à l’ombre des projecteurs.


Dans un premier temps, le musical tient une place d’honneur à travers des fresques nostalgiques d’une époque révolue foisonnante de bons sentiments et d’une douceur de vivre idéalisée. L’influence de la filmographie de Vincente Minnelli est inévitable par des décors majestueux et colorés (mélange nuancé d’un Singin in the rain et d’un Tous en scène), dissimulant l’animosité de son propos. La sophistication de la mise en scène et le scope technicolor subliment cette critique désenchantée par un dynamisme hallucinant, douce berceuse satirique aux chansons
enthousiasmantes. Cuckor se complaît à décrier les revers des paillettes du show business et l'amour impossible entre deux personnalités unis par une gloire solitaire bien éloignée de l'American Dream, façade fragile d'un monde régit par les vices cachés.


Dans ce monde du paraître, l’éclatante Judy Garland brille pour la dernière fois, rayonnante à travers un zoom arrière progressif, une étoile partie trop tôt, évincée d’Hollywood. Ce regard amer d’une célébrité éphémère rongé par les dépendances et la dépression n’a rien d’artificiel. Judy Garland a connu une période tourmentée après sa carrière d’enfant star, détruite par l’enfer des faux semblants et les flashs oppressants. Ainsi, elle incarne la vision magnifiée d’une vie qu’elle n’aura pas su conserver. L’inversion des rôles est d’autant plus poignante qu’elle se projette sur un James Mason habité dans le rôle de Judy Garland. Celui-ci s’accapare rapidement notre attention à travers un cri de désespoir criant de réalisme et sa déchéance dans l’alcoolisme : son numéro d’ivrogne dès l’ouverture annonce indubitablement le fatum tragique. La séquence de la «baignade» de James Mason est particulièrement représentative des fluctuations incessantes et va-et-viens hollywoodiens où la célébrité n’est qu’une façade incertaine où tout est question de rentabilité.


Dans cette fulgurante parabole, Judy Garland s'impose par cette voix inimitable, reconnaissable parmis tant d'autres, une voix puissante à la fois grave et aiguë bouleversante de sincérité, livrant un monumental one-woman show tout en émotion. En alimentant de mélodies entêtantes un récit bouleversant, Cuckor apporte la capacité d’émouvoir, l’onirisme des chansons reposantes tranchant avec le pessimisme ambiant d’un Hollywood destructeur.

blacktide

Écrit par

Critique lue 927 fois

15
6

D'autres avis sur Une étoile est née

Une étoile est née
blacktide
7

What Price Hollywood?

A Star is Born incarne la tragédie musicale par excellence doublée d’une satire complexe de la machine à rêve où la star du jour est le suicidé de demain. A la fois glorification d’une époque révolue...

le 14 févr. 2016

15 j'aime

6

Une étoile est née
Sergent_Pepper
6

Voir les coulisses jusqu’à la lie.

Parmi les genres cinématographiques, la comédie musicale est celle qui embrasse avec le plus d’évidence la dimension spectaculaire et divertissante de cet art : probablement parce qu’elle est la...

le 8 mars 2021

11 j'aime

1

Une étoile est née
JeanG55
8

Les coulisses de Hollywood

Une star vieillissante ou sur une pente descendante se bat pour donner sa chance à une jeune artiste. Le succès de l'un signifie la chute ou le déclin de l'autre. Comme si la gloire était un...

le 29 juil. 2024

8 j'aime

1

Du même critique

Mother!
blacktide
7

Le monde, la chair et le diable

Il est parfois difficile de connaître son propre ressenti sur une œuvre. Non que l’avis soit une notion subjective qui ne s’impose véritablement à nous même que par le biais des émotions, mais que ce...

le 21 sept. 2017

139 j'aime

14

Boulevard du crépuscule
blacktide
9

Les feux de la rampe

Sunset Boulevard est un monde à part, un monde où les rêves se brisent aussitôt qu’ils se concrétisent, un monde d’apparences transposant l’usine à gloire fantasmée en Gouffre aux chimères enténébré...

le 13 mars 2016

112 j'aime

16

Blade Runner 2049
blacktide
8

Skinners in the Rain

C’était un de ces jours. Oui, un de ces jours où les palpitations du cœur semblaient inhabituelles, extatiques et particulièrement rapprochées au vue d’une attente qui était sur le point de...

le 5 oct. 2017

90 j'aime

20