Malgré l'absence de renard dans le paysage, on ne peut s'empêcher de penser à Foxes en regardant Vivarium tant le cadre du court-métrage et celui du deuxième film de Lorcan Finnegan sont identiques : en effet, après avoir fait une promenade en forêt avec Without Name, le réalisateur nous propulse de nouveau dans une banlieue perdue dans le temps et l'espace où la santé mentale des protagonistes est en dangereux équilibre. La claustrophobie augmente d'un cran avec Vivarium puisque le décor, composé uniquement de lotissements inhabités qui s'étendent à perte de vue (comme si quelqu'un avait appuyé trop longtemps sur les touches "Ctrl" et "V"), est un véritable piège qui se referme sur Jesse Eisenberg et Imogen Poots, qui se retrouvent après avoir partagé l'affiche de The Art of Self-Defense de Riley Stearns.


A l'instar de Gemma lorsqu'elle visite pour la première fois la maison, il est difficile de ne pas être parcouru de frissons tant l'atmosphère qui s'en dégage est creepy (tout comme l'agent immobilier qui plus est) et cela ne va pas aller en s'arrangeant car vivre à Yonder ("distance lointaine", littéralement) est éprouvant : la nourriture n'y a pas goût, le silence n'a jamais été aussi prononcé et ni la pluie, ni le vent ne viennent perturber le bleu du papier peint de la chambre d'Andy de Toy Story qui fait office de ciel à cette banlieue maudite. Ajoutez à cela qu’il n’y a, naturellement, aucun réseau et que le seul programme TV soit une version psychédélique du premier générique de la série Doctor Who qui tourne en boucle. Pire encore, après avoir constaté qu'aucune échappatoire n'était possible, un one way ticket, qui prend l'apparence d'un nourrisson, est confié au couple. A partir de là, le film va s'intéresser à la manière dont Gemma et Tom vont gérer la situation et dépeindre une vision condensée et cynique de la vie d'adulte que ce papier va tenter d’analyser plus en détail : une alerte spoiler est donc de mise.


Finnegan ne souhaite pas perdre de temps puisque la découverte du bébé est suivie par un saut dans le temps, lequel conclu la première partie du métrage et ouvre la seconde (Help), permettant d'attaquer d'emblée le cœur du sujet en confrontant les parents résignés et l’enfant. Malgré son âge avancé, ce dernier est venu au monde à peine une centaine de jours auparavant : la croissance du mutant, pour reprendre le terme que Tom emploie pour le désigner, est donc significativement plus rapide que la norme. Cela est un aspect primordial dans le processus de condensation mentionné ci-avant. De toute évidence, la taille exponentielle de l'enfant vise à symboliser l'importance qu’il prend dans la vie du couple et l'attention qu’il nécessite. L’exaspération et la fatigue vont très vite émergés chez Gemma et Tom, si bien qu’ils vont faire preuve de violence, aussi bien physique que verbale, à l’encontre de leur fardeau mais également entre eux (étonnamment, la ligne va être franchie durant l’un des seuls moments d’apaisement du film au cours duquel la petite famille va se mettre à danser à la lumière des phares de la voiture). Partant, une détérioration progressive du couple va s’enclencher. Intrigué par l’étrangeté des propriétés du sol de leur jardin, Tom s'isole même de plus en plus, à partir de la trentième minute du métrage, en se lançant dans l’entreprise (qui s’annonce d’emblée vaine) de creuser un trou. Dès lors, les dîners et le brossage des dents qui étaient jusqu’ici les moments les plus conviviales et complices (ou, du moins, que les deux membres du couple partageaient) se font désormais séparément : autant dire qu'un autre genre de trou se creuse peu à peu. Cela se ressent notamment avec le contraste au niveau des couleurs (verte pour Gemma et rouge pour Tom) ou encore par l'impression qu’ils se retrouvent dans deux réalités distinctes le temps d’une scène où l’un ne peut entendre que les cris d’appel que l’autre pousse.


Pour reprendre la comparaison avec Foxes commencée dans l’introduction, l’idée fixe de Tom tenant à savoir jusqu’où il peut creuser, qui dégénère en véritable obsession (il va y passer ses journées et négliger Gemma), apparaît comme étant la démence provoquée par le cadre de vie suffocant, à l’instar de la fascination pour les renards que manifeste le personnage principal du court-métrage, sous le regard impuissant et plongé dans l'incompréhension de son mari. Si Gemma peut aussi avoir ses moments de démence, notamment durant la scène dans laquelle elle se comporte comme un chien, scène qui fait ouvertement référence au premier métrage de Finnegan, elle ne cède pas complètement et assiste, elle aussi, à l’obstination de son conjoint sans être capable de l’aider, soulignant davantage le parallèle avec Foxes. En raison de son instinct d’institutrice (pour ne pas dire maternel), elle va également s’occuper et prendre la défense de l’enfant, ce qui donne lieu à un semblant de relation mère-fils. Néanmoins, une distance se fera toujours sentir entre les deux : pour preuve, aucun nom ne sera jamais attribué à l’enfant. Sur ce point, le petit clin d’œil à We need to talk about Kevin de Lynne Ramsay, avec le martèlement du marteau piqueur qui est ici troqué contre le vrombissement de la machine à laver, est appréciable étant donné que les deux films comptent parmi leurs protagonistes des enfants particulièrement dérangeants. En revanche, il peut être soutenu qu’essayer de comprendre l’enfant est ce qui a permis à Gemma de ne pas perdre la raison. Il s’agit aussi d’un facteur dans la détérioration de son couple puisque, à aucun moment, Tom n’a considéré l’enfant comme un être humain ("not "him". "It". Stop saying "him"") et il n’a jamais fait d’effort à son encontre. Cela explique pourquoi le mot "father" n’est pas prononcé dans le film.


Refusant de le laisser entrer dans la maison, l’enfant, devenu adulte dans la troisième et dernière partie du film (Fuck U), va jusqu’à laisser Tom à l’agonie sur le trottoir en disant "maybe it’s time he was released". Toute l’amertume du propos du film est concentrée dans cette simple réplique puisque nous comprenons que la délivrance promise relève d’une autre nature que le retour à la vie normale. En effet, aux premiers abords, on a l’espoir qu’élever l’enfant va permettre au couple de s’échapper de ce cauchemar (les chances que cela ne prenne pas autant de temps que ce à quoi on était légitime de penser avaient même grandement augmentées au vu de sa croissance anormale), la consigne étant "raise the child and be released". Cependant, avec cette réplique et la mort de Tom (qui renforce, au passage, l’ironie du trou qu’il s’entête à creuser et dans lequel il va littéralement terminer), le released prend un autre sens et s’interprète plus comme étant un soulagement ressenti une fois la mission de parent, qui consiste à transmettre ce que l’on connaît à ses enfants (ou, comme le dit l’enfant-adulte "[to] prepare their sons to the world"), achevée. Or, comme il a été précédemment dit, Tom ne s’est jamais comporté comme un père. Pourtant, une forme d’apaisement est palpable lors de la dernière conversation avec Gemma, comme s’il s’agissait d’un vieux couple qui parle de leur première rencontre (impression qui n’est pas sans rappeler celle que l’on ressent lorsqu’on entend pour la première fois Cobb dire à Mel "we did [grow old together]. You don’t remember?" dans Inception). Cela peut sous-entendre (et la capacité d’enregistrement de l’enfant, qui fait étrangement penser à celle du monstre d’Annihilation, semble le confirmer) que, quoi que l’on fasse, nos enfants sont intrinsèquement liés à notre être et à notre personnalité et sont comme des échos de notre passage sur Terre. En l’occurrence, ce phénomène prend une dimension plus intéressée puisque l’enfant observe et s’inspire du couple pour devenir plus humain (ce qui explique mieux le titre du film), tel le coucou qui vient parasiter le nid d’oiseaux d’une autre espèce, comme l’explique Gemma au début du film à l’une de ses élèves, et qui va jusqu’à apprendre le chant de ses parents adoptifs (si l’on en croit l’article sur le parasitisme de couvée de Wikipédia).


Par ailleurs, les derniers mots de Tom ("I’m home right now") ne sont pas anodins puisque la maison est l’un des thèmes récurrents de Vivarium. A l’inverse de son conjoint, Gemma ne s’est jamais sentie chez elle à Yonder et va toujours s’y sentir étrangère : "I want to go home" et "all we wanted was a home" peut-on l’entendre dire à l’enfant, lequel lui répliquera à chaque fois "silly mother, you are home". A cet égard, la délivrance de Tom apparaît, paradoxalement, comme étant plus paisible que celle de Gemma car, bien qu’il se soit refermé sur lui-même tout au long du film, sa déclaration suggère qu’il n’a pas subi la situation. Là encore, un rapprochement avec Foxes peut être avancé car, au fond, les hommes de ces deux couples passent leur journée loin de leur chez soi mais, bien qu’ils ne le montrent pas frontalement, la présence de leur compagne les rassure et les réconforte ("I kinda felt like I was home... because of you" dit Tom à Gemma avant de trépasser). En fin de compte, tenter de résoudre le mystère qu’incarne l’enfant, lequel ne s’est jamais attaché à sa mère et attendait d’être arrivé à maturité pour quitter le nid, n’apparaît pas comme étant la porte de sortie mais une obligation à laquelle il faut se résigner au risque de sombrer.


Malgré une résolution qui peut paraître un peu trop expéditive, Vivarium réussit à dresser un portrait de famille peu rassurant à travers la science-fiction (quoi que, en ce long dimanche de confinement, ce séjour à Yonder Land n’est pas si éloigné de notre propre réalité que cela) et profite d’un casting qui contribue à la bizarrerie ambiante (une mention spéciale devant, forcément, être attribuée au trio d’acteurs Senan Jennings, Eanna Hardwicke et Jonathan Aris) ! 6/10 !

vic-cobb

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