Warcraft : Le vernis d'un univers. Coup de gueule tardif

M'étant seulement contenté du RTS et de quelque lectures de l'univers étendue, l'annonce de ce Warcraft : Le Commencement me faisait tout de même trépigner d'impatience comme un gosse de 10 ans. J'étais passionné par le monde de Warcraft ; un univers fun, coloré, et cartoonesque que j'ai parcouru au cours de dizaines d'heures de campagnes refaites en boucles. De plus, Duncan Jones semblait être un réalisateur talentueux. Mais même Sam Raimi n'aurait pas pu sauver ce projet que les exécutifs de Blizzard traînaient comme un boulet depuis 6 ans (vu leur déclarations actuelles, ils ne sont pas près de s'enquiquiner à nouveau ainsi en mettant une suite en chantier). Car faire du cinéma ce n'est pas enchaîner des scènes d'actions et des références sans aucune logique autre que de faire baver la communauté de WOW. Ce n'est pas faire une cinématique de deux heures.


Le plus gros problème dans ce Warcraft c'est la focalisation du récit. Il y a peu, Duncan Jones a lui-même reconnu qu'il s'agissait de la principale raison du ratage de son film. Nous suivons un attroupement de personnages dont les chemins se croisent sans jamais donner un vrai mouvement à l'intrigue. D'abord pensé comme un film se focalisant uniquement sur les humains, Jones a voulu introduire toute une partie se concentrant sur les orcs. Choix déterminant dans l'échec de ce film, autant sur le plan artistique que financier. Aussi louable soit l'intention du réalisateur, se focaliser aussi sur les orcs détruisait toute tentative de développement de son univers (plus suffisamment de temps, plus suffisamment de budget). Et pourtant, les orcs sont la seule partie réussie de ce Warcraft.
Leur gestuelle et leurs expressions sont aussi saisissantes que les prouesses technique naturalistes récemment effectuées sur les deux dernier Planète des Singes. Nous sommes pourtant ici face à des personnages cartoonesques et volontairement caricaturaux. Or, le tout ne tombe jamais dans le ridicule et ils sont les seuls à pouvoir convoquer un tant soit peu d'émotion. Soulignons aussi que les fans de la grosse voix de Clancy Brown seront ravis de le voir incarner le monstrueux orc Blackhand. Il n'y avait pas de meilleur choix de casting possible !


Mais pour ce qui est de l'Alliance et des acteurs qui l’incarnent... Oubliées les directions d'acteurs très romantiques d'un Peter Jackson pour rivaliser avec le trouble provoqué par les gros plan sur son Kong/Serkis ultra-expressif. Ici, Duncan Jones a commis l'erreur de s'entourer d'acteurs monolithiques pour ses humains. Le surjeu blasé constant de Monsieur Lothbrok et les gueules de bois visibles de Ben Foster et Dominic Cooper sont effarantes. Ce manque flagrant d'investissement empêche dès le départ au spectateur d’adhérer à cet univers fantoche. Les acteurs se sentent ridicules et nous le voyons. Le reproche n'est pas fait à la direction artistique de l'alliance, assez dépaysante pour un film d'Heroic fantasy (même si 5 centimètres en moins pour les épaulettes et les épées n'auraient pas fait de mal). Ce monde des humains nous paraît artificiel et cheap car il est avant tout creux et sans âme.


Heureusement, miracle, deux acteurs tirent leur épingle du jeu et éveillent un tant soi peu d’intérêt. Paula Patton (Garona, qui elle en revanche doit assumer son costume) et Ben Schnetzer (Khadgar) portent le film sur leurs épaules. Et pour le peu de temps où ils sont à l'image, pourtant à servir des dialogues d'exposition, on sent que ce film a enfin un petit cœur qui bat. Et c'est bien seulement grâce à ces personnage que le film aurait pu être sauvé : La rencontre de deux peuple en guerre vue par les yeux de deux outcasts de leurs mondes respectifs (un jeune mage ayant renoncé à son ordre et une demi-orc esclave de son peuple).


A défaut de suivre des points de vue clairs à travers lesquels nous pouvons découvrir cet univers richissime, nous sommes ballotté d'un personnage à l'autre, d'une sous intrigue clichée à une autre, le tout en devant retenir des noms abracadabrantesques donnant les clefs de l'histoire. C'est un film pensé à dos de griffon... Et lorsque cette mécanique finit par épuiser le spectateur, et bien le script n’a plus qu'à nous téléporter en un claquement de doigt au prochain niveau ! Sans cesse transbahutés n'importe comment d'un lieux à un autre, le tout suivit par un montage visiblement charcuté (bonjour les transitions en fondu enchaîné dénuées de sens), nous finissons par être désintéressé de l'intrigue et surtout de l'univers. Jamais je n'aurait cru pouvoir m'emmerder sec devant une mise en image aussi incroyable de Warcraft. Car jamais nous ne comprenons où nous sommes, ni ne nous attachons à ce monde et aux races qui le composent. Nous ne faisons que passer d'un décors à un autre afin de pouvoir réunir la douzaine de personnages avec lequel le réalisateur doit se démener.


Warcraft : Le Commencement se voudrait être un film chorale pas manichéen pour deux sous... C'est surtout un film foutraque qui, en suivant cette logique d'écriture, n'aurait pu être sauvé que par une heure de métrage en plus. Pour nous faire pénétrer dans cet univers Duncan Jones aurait dû comprendre qu'il lui fallait faire découvrir ce monde à échelle humaine (comme un joueur plongé pour la première fois dans WOW), pas à vol de griffon au bout de deux minutes trente. Il lui fallait des personnages forts avant de nous assommer de paysages filmés comme des cartes postales et des clins d’œils d'arrière plan constants à WOW : comme la pathétique première scène de raids des orcs (filmée en champ-contrechamp complètement aplatis) qui aurait pourtant été l'occasion idéale de nous immerger dans Azeroth en adoptant vraiment le point de vue des orcs qui découvrent cet univers pour la première fois. En l'état, cette scène ne sert encore qu'à présenter un décors iconique de WOW placé uniquement pour la référence : Oui c'est bon... ON L'A VU VOTRE GOLEM MOISSONNEUR AU BOUT DES CHAMPS ! Vous êtes heureux les fans, ça y est ? Vos exigences s'arrêtent là ?... Il faudra pourtant s'habituer à cette impression de suivre un catalogue touristique des plus beaux paysages d'Azeroth, aussi logique qu'un défilement de fonds d'écrans aléatoires.


De plus, il était IMPOSSIBLE d'écrire un film avec autant de points de vue si distincts. Profane ou non le spectateur pénètre dans un monde dont il doit découvrir les règles, comprendre sa géographie, sa logique, ses enjeux (pour s'y attacher). Or ce dispersement ne conviendra qu'aux fans les plus aveugles. Parce que voilà l'adaptation de leur univers chérie qu'on leur sert... Le choix était de traiter cette troupe de personnages iconiques fidèlement (et en cela devenir totalement indigeste) ou n'importe comment : choix plus sage financièrement mais qui va jusqu'à trahir le matériau d'origine. Et cela les fans ne s'en sont jamais plaint !


Exemple débile mais parlant : Aduin est un personnage trop mince et sans envergure. A la limite, c'est un mentor de substitution pour Khadgar. Mais il est mis en avant comme un personnage principal (un parmi 5 autres mais bon...) car beau gosse et joué par un acteur qui a la cote. Il lui faut un arc narratif. Mettons lui un fils, faisons le ken Garona (pauvre Medivh, qui finit par la lui envoyer par la poste.....) et donnons lui une relation d'opposants avec Blackhand quitte à sacrifier l'arc narratif d'Orgrim. Dans ce film, l'orc chauve n’apparaît que comme un traître plein de remords. Pourtant la logique du SCENARIO (lorsqu'il prononce un discours sans aucun effets après la mort de Durotan) nous amène à croire qu'il va défier Guldan, imposer le respect, affronter Blackhand et sauver l’honneur de la Horde en devenant son chef.
Et bien non !
Anduin tue Blackhand en plagiant la première scène badass d'Achille dans le Troie de Wolfgang Petersen. Et le film s'achève sur ce combat « anti-climatique » au possible. La seule raison de ce doigt d’honneur à l'univers étendu : donner une scène « cool » et de la substance à ce beau gosse de Ragnar qui sera sur nos affiches. Et Orgrim finit oublié du scénarios et de toute logique du développement du Lore pour les potentielles suites.
Ceci est encore plus frustrant lorsque l'on voit la passion de l'acteur Robert Kazinsky (grand fan de cet univers) qui parvient à jouer Orgrim avec beaucoup plus de subtilité que Toby Kebel/Durotan (un des plus grands habitués de la performance-capture). Mais Blizzard a préféré s'attarder sur ce Travis Fimmel, qui n'en a absolument rien a foutre : Il n'est clairement là que pour cabotiner et vérifier qu'il n'a pas perdu la main depuis Vikings pour ce qui est du maniement de l'épée (son attitude pendant la promo du film en est la preuve désolante).


Écrit n'importe comment, ce film ne pense qu'à créer une illusion de mouvement (enchevêtrements d'intrigues, twits à gogo, morts de personnages principaux, etc...) pour nous faire oublier son incapacité à dépeindre un univers. La seule intention de Duncan Jones était d'écrire un film où les personnages de chaque camps ne sont pas purement bons ou mauvais, reprenant ainsi la logique première de WOW. C'est, certes, un choix logique pour traiter cette histoire de choc des cultures. Mais il faudrait alors s'entourer de bons scénaristes de CINEMA pas de série télé. C'est à dire des scénaristes capables de faire exister des personnages et leur ambivalence par des détails visuels et non pas grâce à des enchevêtrements d'intrigues ou de dialogues d'exposition (on a pas dix épisodes de 50 minutes sous la main là). Cette intention du réalisateur finit donc par tomber à l'eau. Les seuls personnages efficacement nuancés sont des seconds rôles (Notamment Blackhand et Garona). Pour les autres... on a droit au bon roi altruiste. au héro d'action cabotin, au jeune indécis qui va prendre l'ascendant, à l'honorable chef qui se sacrifiera, au grand méchant sorcier, etc... Mais les archétypes ne sont pas une mauvaise chose et permettent le plus souvent d'adhérer plus facilement à un univers et à ses personnages (comme Peter Jakson Fran Walsh et Philippa Boyens l'avaient compris en décidant d'accentuer l'aspect "Comic Relief" de Merry, Pippin et et Gimli lorsqu'ils nous sont présentés ; afin de mieux développer leur profondeur par la suite). Les personnages de ce Warcraft sont des images clichés et aplatis apposées sur des décors eux même clichés et plats. Et ce "Tout" ne bouge jamais. Ainsi, évidemment, il est impossible d'oser espérer que ce film ne tente de développer des thèmes qui lui sont pourtant servis sur un plateau : La subjectivité au sein de la guerre, l’incommunicabilité, voir même les crise migratoires et le "vivre ensemble" ; si on veut vraiment partir sur cette pente. Car au final ce film Warcraft ne raconte rien. Et le grand perdant dans cette affaire c'est la mythologie de Warcraft elle-même. Nous ne sommes pas face à un monde sensible suffisamment proche et lointain pour mieux nous parler de notre propre réalité. Non, ici nous n'avons qu'un décorum de fantasy, cherchant à nous faire adhérer à un univers cliché, donc plat, creux voir inexistant (une fois passée l'introduction des orcs).


Mais d'ailleurs, si passé la première demie heure on a abandonné tout espoir, reste-t-il la possibilité de ne pas s'ennuyer ? Toujours pas, malgré des ellipses incessantes... Les scènes d'actions sont pour la plupart illisibles. La faute à un trop grand nombre de personnage à suivre lors des mêlées et au refus de Duncan Jones d'essayer de les lier les uns aux autres dans l'espace. Ces scènes sont pour la plupart shootées en caméra à l'épaule (Ça va, Avatar c’était il y a dix ans, il n'y a plus rien à prouver Duncan) et chaque plan est presque toujours déconnecté de celui qui le suit ou qui le précède.
De plus, Duncan Jones ne sait pas utiliser son format large cinémascope. Il l'a voulu pour convoquer une imagerie de western et de chambara (héritage déjà présent dans les cinématiques du jeu) et recopier des plans d'Il Était Une Fois dans l'Ouest (son influence majeure : voir la scène d'intro alternative). Ainsi, nous avons une dizaine d'occurrences de plans « à la Sergio Leone » sur les pieds ou les mains des personnages dans les coins de l'écran. Tout ça pour ça... Et pour les plans larges, même lorsqu'ils sont fixes, notre œil ne sait jamais où se poser. Les éléments censés faciliter la lecture des plans sont disposés n'importe comment. Si le cadre est déjà illisible comment lui demander de créer du sens ?... Les seules scènes de batailles impressionnantes à la fin sont sans cesse entrecoupées d'un combat dénué d'ambition à Karazhan (mixe entre Xena la Guerrière et le Parc Astérix, avec une mention spéciale pour le Rodéo-Golem !), histoire de gâcher le plaisir jusqu'au bout.


Mais ces défauts de mise en scène auraient pu être compensés si Jones avait accordé plus d'importance à son scénario. Il parvient parfois à filmer des scènes visuellement étourdissantes, bien écrites et soutenant même avec intelligence la mythologie de Warcraft. A ce titre, l'introduction des orcs et la naissance de Thrall sont sans doute les meilleures scènes du film. Car, en sommes, le scénario de Warcraft est alambiqué sans aucune raison autre que de donner du temps d'image à beaucoup trop de personnages. Et Avatar avait été critiqué pour un scénario infantilisant et cliché. On croit rêver... Le scénario d'Avatar nous proposait une identification immédiate à un récit classique nous permettant AVANT TOUTE CHOSE d’être en immersion totale dans un univers monstre. Ceci autorisait ensuite Cameron à traiter de thèmes plus larges en s'adressant à tous.


Des décisions marketing insoutenables débattues sur des années (qui ont poussé Sam Raimi dehors, dégoûté de son expérience) et des erreurs créatives et scénaristiques majeures avaient enterré tout le potentiel de ce film avant le début de son tournage.


La suite potentielle nous promet un film sur l'avènement de Thrall en guide spirituel de la Horde. Merci, mais non merci. Nous avons déjà eu les trois derniers excellents Planète des Singes. Pas besoin de raconter la même histoire avec des murlocs en arrière-plan.


Ainsi, reste de ce Warcraft une série B moisie, ultra friquée, colorée et suffisamment dépaysante pour faire passer un moment et sortir de la morosité des blockbusters polissés de super héro actuels. Beaucoup de gens ont trouvé du plaisir à ce film et je comprends pourquoi. Voir l'adaptation d'un univers de "fantasy" riche et dépaysant, le tout soutenu par les technologies de tournage les plus modernes, c'est emballant. Ce que je ne comprends pas c'est comment les fans de cet univers peuvent se satisfaire de si peu. Car avec un tel potentiel il est plus que rageant de se contenter d'une jolie coquille vide, aussi vite vue aussi vite oubliée. Si les fans noient ce genre de films d'éloges pour peu que la direction artistique du jeu et les clins d’œils soient au rendez vous (nostalgie mortifère...), alors il ne faudra pas s'étonner de se voir servir des divertissements de plus en plus débiles et décousus, pensés seulement d'un point de vue marketing.

TheNod
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le 12 déc. 2018

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