La petite Wardi, yeux grands ouverts sur le monde, est le personnage éponyme du premier long-métrage de Mats Grorud, réalisateur norvégien. Entourée de toute sa famille empilée à la verticale, faute de place, sur le premier abri (d’où le titre original, « The Tower », « la tour »), elle habite au Liban, de nos jours, dans l’un des camps de réfugiés palestiniens qui ont progressivement surgi du sol et crû en hauteur, suite à l’annexion, en 1948, de terres, en vue de la création d’Israël.
Elle entretient avec son arrière-grand-père, Sidi, qui a connu l’expulsion des territoires, un lien passionné, fait de complicité et de jeux verbaux, de récits, et fondé sur autant de tendresse que d’estime réciproque. Lorsque Sidi remet à son arrière-petite-fille la clé de la maison de ses propres parents, en Palestine, l’enfant voit dans ce geste un renoncement au retour et y lit, avec justesse, un aveu de désespoir. Dans sa haute lucidité d’enfant, elle sait ce que cela signifie, concernant la survie de cet homme si âgé, et malade...
Dès lors, comme dans un conte, elle se retrouve spontanément investie d’une mission, qui va la propulser dans une quête : rendre à ce vieil homme adoré l’espoir dont la perte risque de provoquer la mort. C’est l’occasion d’une sorte de tournée qui fera gravir à la petite fille les étages de la tour familiale, la faisant passer par différents membres de sa famille : sa grande sœur prête à se marier en Europe, malgré l’amour qu’elle porte à l’un de ses voisins ; sa grand-mère si énergique et bricoleuse ; son grand-père, son père, différents oncles, parmi lesquels un unijambiste et le surnommé « garçon aux pigeons », qui occupe la terrasse de l’édifice familial : des hommes définitivement marqués par le vécu guerrier, la rencontre de la violence physique, et qui ont perdu toute insouciance... Il y a aussi la tante Hannan, autrefois si belle...
Ces rencontres ouvrent toutes sur des plongées dans le passé des personnages, livrant la clé de l’état dans lequel ils sont figurés au présent. On quitte alors l’animation en volume et les modelages aux grands yeux mobiles, si infiniment touchants, et supervisés par Pierre-Luc Granjon, pour retrouver l’aplat d’une animation en 2D, supervisée par Hefang Wei, et signalant le retour à l’histoire et à la génèse du présent. Certaines de ces histoires prennent même appui sur des témoignages photographiques authentiques.
Le réalisateur, pour tous ces parcours singuliers, s’est inspirés d’amis côtoyés ou de récits entendus dès sa prime adolescence, alors qu’il accompagnait sa mère, infirmière au Liban dans les années 1980. La dimension soulignée ici est essentiellement celle de la douleur, une douleur sans haine, intimement ressentie, meurtrissante, même si elle n’obère pas totalement certains éclats de joie, une fête, une danse... Allah n’existe pas, ici, et pas une seule fois la religion n’est évoquée dans ce long-métrage d’animation. Une grande douceur, mêlée à une profonde nostalgie, peut alors prendre totalement possession du monde ainsi créé. On songe à des démarches voisines, par la thématique et par le positionnement du regard, tel « Samouni Road » (2018), de Stefano Savona, https://www.senscritique.com/film/Samouni_Road/32119809. Et l’on se prend à regretter, comme souvent avec les dessins animés, que le monde lui-même ne soit pas l’œuvre de semblables cinéastes...