Il faut écouter Martin Scorsese parler de son premier film (notamment dans les essentiels Entretiens avec Michael Henry Wilson) pour en comprendre les élans aussi disparates qu’enthousiastes.


C’est avant tout un assemblage de plusieurs tournages distincts : le premier davantage centré sur la bande de potes de Little Italy, le second sur l’histoire du couple formé par le tout jeune Harvey Keitel et Zina Bethune, le troisième, la séquence fantasmatique sur la musique des Doors, tournée à Amsterdam à la demande d’un producteur désireux d’ajouter une touche sexploitation au film pour le distribuer plus facilement.


Formellement, le jeune réalisateur se cherche et fait feu de toute influence avant de devenir l’un des parrains du Nouvel Hollywood : empruntant au néoréalisme italien l’aspect documentaire qui donne tout son charme la joyeuse équipée dont l’aspect brut et documentaire renvoie aussi beaucoup au Shadows de Cassavettes), il dessine le portrait d’une génération dont les préoccupations oscillent entre la boisson, les filles, et la baston, le tout sous un rockabilly permanent. Mais c’est aussi du côté de la Nouvelle Vague qu’il s’abreuve, notamment au gré d’un montage en contrepoint qu’il va pousser très loin dans quelques séquences résolument expérimentales. La caméra colle à la peau, les inserts brutaux sur des détails (les loquets, les fenêtres de la voiture, les très gros plans sur des gestes furtifs) assument le désir d’un regard omniscient qui déséquilibrent la hiérarchie traditionnelle des images. Scorsese cherche à coller à la psyché tourmentée de son personnage principal, un alter ego avec qui il partage les déchirures entre foi, amitié destructrice et rapport complexe à la femme. Madone ou pute, muse ou corps, celle-ci échappe à tout cadre et contribue à l’explosion de toute stabilité : autant de thèmes qui se retrouveront très vite dans sa filmographie, dès Mean Streets et Taxi Driver.


L’aspect autobiographique se dévoile aussi par l’assez maladroite cinéphilie du jeune réalisateur qui cède aux sirènes du name dropping, nous gratifiant de longues dissertations sur La prisonnière du Désert et Rio Bravo, et le film n’est pas toujours très digeste lorsqu’il nous donne cette impression de fourre-tout plutôt bordélique.


Pourtant, de nombreuses scènes, d’ailleurs faciles à distinguer tant l’ensemble est disparate, attestent d’un talent indéniable : la comédie est souvent très juste et spontanée (le personnage de Joey, bouffon et violent annonce d’ailleurs très clairement les fantastiques rôles de Joe Pesci dans Les Affranchis ou Casino), la séquence en montagne (Scorsese et la nature, association rarissime…) plaisante, et celle au ralenti du jeu avec le pistolet saisissante de tension et de lyrisme.


Scorsese ne s’en cache pas : le personnage de JR le représente. Or, son drame est d’être le pivot de tensions totalement contradictoires, et de ne pouvoir trouver un point d’équilibre pour prendre le meilleur de chacune d’entre elle : habile écho à la position malaisante d’un réalisateur aux prises avec plusieurs films qu’ils mêle dans la frénésie au risque d’un manque flagrant d’unité.


Fébrile, dingue, cramé : l’acte de naissance de Scorsese réalisateur est à l’image du rapport qu’il entretiendra pendant plusieurs décennies avec le cinéma : passionnel, au sens religieux comme émotionnel.


http://www.senscritique.com/liste/Integrale_Martin_Scorsese/1467032


(6.5/10)

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le 8 oct. 2016

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Sergent_Pepper

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