Who's that knocking at my door ? a de cela remarquable qu'il ne commence jamais vraiment, et qu'il ne se termine pas tellement non plus.
Vous me ferez remarquer qu'il doit bien nécessairement commencer, sans quoi on ne pourrait pas le regarder, et puis ensuite se terminer à un moment ou à un autre, après tout, il ne peut pas durer éternellement. Et bien sur vous aurez raison, forcément, mais entre cet instant où il commence et l'autre où il se termine, il n'y a pas de début, ni de fin, ni vraiment de milieu non plus.
Entre cette mère qui prépare le repas pour ses quatre enfants, naviguant dans son petit appartement miteux perdu au milieu d'une forêt de statuettes religieuses et J.T et Joey qui se séparent en se disant à demain, Who's that knocking at my door ? flotte doucement dans les rues de New-York, au-dessus de ses routes cabossées, de ses trottoirs défoncés, de ses devantures craquelées, de ses immeubles moisis, de ses intérieurs défraîchis en suivant tranquillement JR, sa petite bande de malfaiteurs et sa relation passionnelle nouvelle pour s'arrêter sur les souvenirs partagés, sur les moments intimes, sur les échanges complices, sur les empoignades affectives, sur les étreintes passionnées, sur les longues conversations, sur les cris, sur les rires, sur les insultes, sur les blagues, sur les bagarres, sur les baisers, sur l'amitié, sur l'amour, le temps de quelques gros plans fixés sur les visages, sur les regards, sur les sourires, sur les gestes, sur chaque émotion de chaque pore de la peau de chaque acteur.
De ce premier essai expérimental qui emprunte beaucoup à la nouvelle vague et pas mal aussi à Cassavetes, ressort une succession décousue et inégale de situations parfois presque indépendantes, véritables mini-tableaux parfaitement composés, desquels surgissent quelques scènes marquantes, souvent bien arrosées, toujours très musicales, qui nous reviennent, comme des songes lointain flottant hors du temps au milieu des effluves d'alcool. Comme cette soirée où ils sont tous ensemble dans un petit appartement, où ils boivent, où ils parlent, où ils rigolent, des bouteilles vides au premier plan, une petite musique cubaine en arrière-plan, ou peut-être était-ce l'inverse. Comme ce dernier verre de la nuit, ensembles, accoudés au bar d'un petit café, en état d'ébriété déjà bien entamé, l'innocence d'une jeunesse débridée retrouvée. Comme ce passage érotique sur un lit immaculé au centre d'une pièce misérable, emporté par un tourbillon de passion. Comme ce moment suspendu dans le crépuscule au sommet d'une colline perdu dans la campagne américaine, seul sortie de la galaxie New-York, et Joey qui n'en comprend pas la beauté pendant que J.R. se tait.
New-York, la délinquance, les bandits, les relations hommes-femmes, l'amitié, la famille, la religion et une violence soudaine qui émerge chez un J.R. tiraillé entre chacune de ses forces abstraites, le jeune Martin a déjà trouvé le fond de ces futurs chefs d'œuvres et un Harvey Keitel génial qui parait avoir 15 ans, ou alors 35, mais cherche encore la forme qui fera de lui le grand Scorsese, malgré une musique qui dégouline déjà sensuellement de chaque plan.