Camé et Léon
Il existe ces films qui vous happent physiquement, qui détiennent au fil des minutes une emprise machiavélique sur votre regard par rapport à l’image. A Beautiful Day fait partie de cette...
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le 6 nov. 2017
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Il existe ces films qui vous happent physiquement, qui détiennent au fil des minutes une emprise machiavélique sur votre regard par rapport à l’image. A Beautiful Day fait partie de cette catégorie-là. L’œuvre de Lynne Ramsay est pourtant très codifié dans sa démarche, très commune dans son exécution, mais acquiert une puissance parfois sensorielle qui prend le pouls de la violence de son personnage principal.
Le cinéma nous a récemment habitué à ces figures masculines lacérées par le temps au gré des cicatrices et des traumatismes qui les plongent alors dans un mutisme froid et initiatique : Drive de Nicolas Winding Refn, Taxi Driver de Martin Scorsese, Le Samourai de Jean Pierre Melville, A Ghost Dog de Jim Jarmusch, A Bittersweet Life de Kim Jee Woon, Collateral de Michael Mann voire même Old Boy de Park Chan Wook. La liste est longue et A Beautiful Day pourrait être accusé de fouiller dans les fonds de tiroirs du genre.
Face la pluralité des références et des influences possibles, Lynne Ramsay saisit parfaitement l’ampleur de la tâche qu’est de filmer un tel énergumène mais à aucun moment le film ne surprend dans sa caractérisation : rustre, violent, peu bavard, suicidaire où l’horreur engrange l’horreur, le personnage est tout ce qu’on attendait de lui dans une intrigue aussi courte qu’un coup de canif au niveau de la jugulaire. Vivant entre un quotidien où il s’avère être un tueur à gages de pédophiles et ces souvenirs sanglants qui resurgissent par fraction, le dénommé « Joe » est proche de la rupture : il est un fantôme qui erre et amoche tout ce qui bouge.
La dernière mission qui lui sera donnée, sauver une gamine de 13 ans, ne se passera pas comme prévu et le cauchemar filmique deviendra encore plus sombre. Mais alors, qu’est ce qui fait toute la puissance propre à A Beautiful Day ? Il sera difficile de ne pas parler de l’attraction qu’émane Joaquin Phoenix, un caméléon protéiforme : musclé comme un beauf, regard vide, dialectique féroce, il est la force centrifuge du film. Il est quasiment dans les tous les plans du film. Fascinant à suivre dans ses déambulations autant diurnes que nocturnes, il dégage une présence hors du commun, proche de la mysticité, avec son marteau à la main.
Sans jamais avoir besoin d'exagéré, Joaquin Phoenix, l’anti héros parfait, parvient à transmettre l'intériorité dévastatrice de son personnage à travers sa pure morphologie, son comportement imposant et son visage ravagé qui porte le poids de son passé traumatique. De ce corps mastoc de cet ancien militaire et agent du FBI qui dissimule des souffrances névralgiques, Lynne Ramsay démontre une nouvelle fois sa science du cadrage et aussi celle d’un montage faramineux qui devient le pendant visuel des soubresauts inconscients de l’esprit torturé de Joe (multiples flashs sur son enfance) : le film est d’une beauté minimaliste assez impressionnante, s’éloigne de la photographie chromatique saturée de We need to talk about Kevin et s’aide d’un mixage sonore qui glace l’atmosphère qui rampe dans les ruelles de New York.
Le film se déroule comme une ligne droite, à l’image de la démarche patibulaire et encastrée de « Joe » : il ne court pas ou peu et va d’un point A à un point B. Avec sa faible durée, 1h25, l’exercice de style qu’est ce « vigilante », se fait encore plus saisissant et ne laisse aucun gras, aucune longueur qui pourrait mettre de côté la volonté entreprise par Lynne Ramsay. A Beautiful Day n’est que violence, frustration et torrent de douleur : même si la violence graphique esquinte parfois la rétine de par son naturalisme et son réalisme gore, Lynne Ramsay joue avec les attentes du spectateur en déplaçant parfois la violence en hors champ, pour encore mieux imprégner l’imaginaire de son hôte et agencer une poésie funéraire qui toise son auditoire.
La réalisatrice se veut plus directe qu’à l’accoutumée, moins chichiteuse dans ses effets et sort de sa zone de confort pour offrir une œuvre plus racée mais toujours aussi empathique et diabolique face à l’errance qu’elle est en train de scruter : comme pour Eva (We need to talk about Kevin), le film parle d’une culpabilité, de la naissance du mal dans un monde tout sauf serein, d’une mémoire qui dégénère en se remémorant les coups de semonce du passé ; dévoile un questionnement intérieur qui se demande quand est ce que tout cela a basculé. La fragilité endurcie de Tilda Swinton laisse place cette fois à la dureté fragile de Joaquin Phoenix : pour le même résultat. Un grand film.
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le 6 nov. 2017
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