Deux constats pour commencer. Tout d'abord, je n'écouterai plus jamais la chanson Fire and Rain de la même façon. Le titre de James Taylor (qui traîne quelque part dans le classement des 500 meilleures chansons de tous les temps du Rolling Stone Magazine, de mémoire) est proprement bouleversant. On l'entend à deux reprises dans le film, et chaque fois il procure une immense sensation contradictoire qui nous tiraille entre joie et tristesse, entre espoir et fatalisme. Deuxième constat: on ne le dira jamais assez, mais River Phoenix manque terriblement au cinéma. Quel talent !... J'ai rarement (jamais ?) vu un jeune acteur aussi doué... et dire qu'il n'a que 17/18 ans lors du tournage. Entre lui et Joaquin (et un peu Summer, et un tout petit petit peu Rain), on peut dire que la famille Phoenix aura apporté au 7e Art.
Pour en venir au film, difficile de retranscrire l'impression qu'il laisse tant il est marquant. Lumet n'en est pas à son coup d'essai, loin de là, mais ses films précédents sont en-deçà de ce qu'il avait pris l'habitude de réaliser. Avec Running on Empty, il se réveille et ajoute un chef-d'oeuvre à sa collection bien remplie en délivrant un récit intense en plus d'être très original.
Le film est l'histoire de la famille Pope, en cavale depuis une quinzaine d'années, et plus particulièrement celle de Danny, le fils aîné, qui atteint l'âge d'aller à l'université. Danny est prisonnier mais n'a pourtant jamais été derrière des barreaux. Il est en cavale depuis toujours alors qu'il n'a jamais commis de délit et qu'il n'est pas recherché par les forces de l'ordre.
Même s'il lui arrive de râler parfois, il ne souhaite pas se séparer de ses parents malgré les contraintes. De toutes façons, il n'a connu que cette vie de fuite permanente. Il n'a jamais vraiment eu d'amis ou de copines à cause des déménagements. Sa famille, composée de ses parents et de son petit frère de dix ans, est sa seule compagnie. Seulement voilà, à Waterford, tout va changer. Danny rencontre Lorne, la fille de son professeur de musique local, et puis il a désormais l'âge d'aller à l'université. S'il n'y avait jamais vraiment songé, il va prendre conscience de son talent de pianiste et de son potentiel au contact de Lorne et de son père. S'en suivra un questionnement profond: doit-il poursuivre cette vie de fugitif dont il n'est pas responsable, ou doit-il vivre sa vie au risque de ne plus jamais revoir les seules personnes qu'il ait vraiment connues jusque là ?
L'attachement qu'il a pour sa famille est sans borne, mais il ne mérite pas de subir les contraintes qui y sont liées. Lui n'a rien fait de mal, pourquoi devrait-il fuir toute sa vie ?
River Phoenix est totalement habité par son rôle d'adolescent tiraillé entre sa famille et son futur. La qualité du jeu permet une réelle empathie qui nous prend aux tripes. Si le jeune acteur est à mettre en avant, les autres ne sont pas en reste, en particulier les parents joués par Christine Lahti et Judd Hirsch. Ils ne regrettent pas leurs actes qu'ils ont fait en connaissance de cause, ils font preuve d'une solidarité sans faille et savourent chaque petit instant de bonheur qui leur permettra de tenir lorsque la situation sera plus tendue.
Outre le jeu des acteurs, le grand point fort du film est sa réalisation toute en simplicité. Lumet est simple mais efficace. D'une efficacité rare même. Je pense ici notamment à la dernière scène dont la force est justement de ne pas en rajouter, quitte à nous prendre un peu de court. Les relations familiales, les actes des parents, leurs convictions, les conséquences, tout est décrit avec une telle simplicité, une telle limpidité que trouver quelque chose à redire relève de la mauvaise foi. La scène avec le grand-père est extrêmement marquante à ce titre.
J'ai bien conscience que je n'arriverai jamais à exprimer la force du film à travers ces quelques paragraphes. mais lorsque je vois que je ne suis que le 671e à noter le film sur Sens Critique, je me dis qu'il faut absolument que j'en fasse la publicité.
Regardez ce film.