Le minimum que l’on puisse dire, c’est que j’ai mis du temps avant de commencer à apprécier ce film. Le début m’a passablement ennuyé. Et, sur un film de quatre heures, quand je parle de “début”, je compte bien une bonne heure.
Et c’est, justement, sur la durée que le film m’a touché. C’est par sa capacité à prendre son temps qu’il sait être juste. A priori, on pourrait se dire que quatre heures, c’est trop long. Mais ici, quatre heures est une durée idéale pour que le film infuse correctement et qu’il rende tout son parfum, toute sa saveur.
Cette notion de temps est essentielle au film. Si je devais définir A Brighter summer day, je dirais que c’est un film sur le temps. Le temps que prend le cinéaste pour construire et développer ses personnages, les planter dans un contexte social et historique particulier, creuser les interactions entre les protagonistes, entre les groupes auxquels ils appartiennent, etc. D’ailleurs, les cadres sont toujours larges, implantant les personnages dans un décor, dans un lieu, dans une société, dans un environnement, dans une atmosphère.
Il est beaucoup question d’interactions sociales dans ce film. Entre Si’r et ses parents, entre Si’r et les autres membres du clan, entre les différents clans, etc. Puis, surtout, en Si’r et Ming, la jeune fille “appartenant” au clan adverse. Très vite, on comprend que l’on a à faire à une version Taïwan années 50 de Roméo et Juliette (ou d’un West Side Story où les chansons du King remplaceraient celles de Bernstein).
Mais limiter ce film à une simple amourette d’adolescents serait trop simpliste. A brighter summer day est un film qui embrasse un sujet beaucoup plus large : le sort des Chinois du continent ayant fui l’arrivée de Mao et s’étant réfugié à Taïwan. Entre sentiment de déracinement, intégration compliquée, fanfaronnade sur la reconquête du continent et surveillance active de la police politique taïwanaise, Edward Yang livre ici un film qui, l’air de rien, est une oeuvre historique et politique importante.
Une oeuvre qui, aussi, prend le temps (encore cette question du temps, si primordiale) de développer les sentiments des spectateurs. Comment, petit à petit, ne pas sympathiser avec des protagonistes dont on perçoit les contradictions et les malaises. Comment ne pas souffrir avec ce père, au rythme de ces sempiternelles convocations à l’école où il doit s’humilier pour supplier de ne pas renvoyer son fils devenu incontrôlable dans son expression de son déracinement ? Le temps du film permet aussi cela : répéter des scènes pour mieux montrer l’évolution d’une occurrence à l’autre, comme une spirale qui s’enfoncerait plus profondément de façon inexorable.
Finalement, alors que j'avais eu du mal à entrer dans le film, j'ai également eu du mal à en sortir, tant ce voyage de quatre heures nous plonge dans une tranche de vie et nous englobe émotionnellement et sensoriellement. Une plongée dans un lieu et une époque parfaitement reconstituée.
Pour finir, le hasard a fait que, dans mon cycle consacré au cinéma de Taïwan, j’ai vu Un temps pour vivre, un temps pour mourir, de Hou Hsiao-hsien juste avant ce Brighter summer day, et les deux films se répondent d’une façon tout à fait passionnante, aussi bien par leurs thématiques que par le type de personnages qu’ils présentent. Même la réalisation, très personnelle dans les deux cas, offrent des points communs.