Un premier long métrage sud-coréen a fait récemment sensation ces derniers mois, cumulant des prix dans des festivals internationaux (Deauville, Rotterdam, Marrakech – où le cinéaste a reçu le prix des mains du président Martin Scorsese) : A Cappella (Han Gong-ju) de Lee Su-jin.
On suit le parcours initiatique de la protagoniste éponyme (si on prend le titre original coréen, signifiant « princesse ») qui, en plein milieu de l’année, change de lycée et de foyer après un mystérieux traumatisme. Que s’est-il vraiment passé pour qu’elle devienne mutique au monde extérieur ? Qu’est ce qui aurait pu la rendre aussi hermétique et emplie d’un sentiment de honte permanent ? Est-elle coupable de son propre malheur ? Au fil du récit, tel un puzzle, la vérité du passé nous est dévoilée dans toute son horreur. S’inspirant de faits divers sordides impliquant des viols collectifs dans les lycées, ce film traite un problème récurant de la société sud-coréenne où le système scolaire, qui fait peser sur les écoliers une pression démesurée, est pourri à plusieurs strates. A cela s’ajoute le lynchage des victimes, rendues autant parias que les coupables, le tout, à travers une société patriarcale brillamment mise en scène.
Ce film navigue entre la subtilité à travers le sens du détail, notamment le soin attribué au montage et aux ellipses, et une certaine grossièreté dans une seconde partie beaucoup plus démonstrative, où certains flash-backs auraient pu aisément être occultés sans nuire à la bonne compréhension de l’intrigue. Ce film pose des questions cinématographiques très intéressantes : qu’est ce qui est montrable au cinéma ? Où est la limite du plan ? Là où la majorité des films optent pour la suggestion, ici, l’acte nous est montré d’une manière frontale, sans équivoque, nulle place à la fantasmagorie du viol. Si la suggestion fait partie intégrante du pouvoir de cinéma, le montrer résume d’un acte politique : c’est rendre visible l’atrocité dans sa forme la plus brute. Soudain, on pense au geste cinématographique radical et nécessaire d’Alain Resnais : Nuit et brouillard.
Plusieurs thèmes piliers parcourent A Cappella, l’un d’entre eux est l’abandon. En effet, l’héroïne est abandonnée par tous et laissée pour compte : cela va des institutions publiques (la police misogyne, son école d’origine et son école d’accueil) qui la sacrifient pour la bienséance de la société bourgeoise ; à sa sphère privée (les parents démissionnaires, entre une mère absente et un père alcoolique), jusqu’à même sa nouvelle amie. De même, le motif du harcèlement circule sous des différentes formes à travers les péripéties de la protagoniste principale mais aussi de deux personnages secondaires.
En dépit de ces thèmes sérieux et graves, le film ne tombe pourtant jamais dans un misérabilisme ou un fatalisme facile. Au contraire, il interroge et sonde le spectateur sur comment apprendre à (re)vivre sans pour autant occulter sa mémoire salie. Pour Han Gong-ju, une renaissance est possible grâce à la natation qui a un rôle purificateur : « je veux apprendre à nager pour survivre si je change d’avis ». De même, une libération est rendue possible grâce à la musique, ici cathartique. Elle préfère les sonorités qui font appel aux sens aux définitions unilatérales et cérébrales des mots : là où les verbes manquent, il y a la musique. Cette dernière est également un ressort scénaristique, elle permet de faire rencontrer des nouvelles amies à Han Gong-ju. Comme renouer avec autrui, redonner confiance et se réapproprier une définition de l’amitié quand on est devenu un loup solitaire ?
Servi par une rigueur formelle et des qualités de mise en scène indéniables pourtant non sans quelques maladresses scénaristiques, ce premier long métrage de Lee Su-jin résonne comme un coup de maître. Bien qu’A Cappella soit une dénonciation de la misogynie ambiante de la société et de la violence banalisée, le cinéaste nous garde une note d’espoir, un champ d’action où résonne musique et amitié. Malgré une douleur indicible, quand le vent se lève, il faut tenter de vivre.