Il y a de ces films qui nous marquent et qui hantent pour longtemps nos mémoires car pour nous, ils sont un cri de vérité. American Beauty fait indéniablement partie de ces films. Sorti en 2000, le réalisateur Sam Mendes, doté d’une vision ultra lucide, traduit la catharsis d’une époque. Retour sur ce magnifique pamphlet contre le fameux “American way of life”, qui révèle la face cachée du American dream.

Tout commence et se termine dans l’une de ces banlieues résidentielles idéalisées où vivent des millions d’américains de la classe moyenne : les Burnham sont l’une d’entre elles. Sam Mendes nous dépeint tout d’abord le portrait de chaque personnage qui se fissure un peu plus au cours du film car les apparences peuvent être ô combien trompeuses ! Sous les pelouses parfaitement entretenues et les photos de familles impeccables, la structure familiale est souvent au bord de la rupture et les protagonistes cachent une certaine détresse existentielle. Lester, le mari et le père, est le personnage type du loser, il est totalement transparent aux yeux de sa femme qui d’ailleurs le méprise. En effet, Carolyn, l’épouse et la mère, est à la fois névrosée et hystérique. Carriériste et matérialiste, elle est en plein échec professionnel quand elle trompe son mari avec son concurrent dont elle admire frénétiquement la réussite : pour cause, Buddy Kane est l’antithèse de son mari. Lester est également une honte pour sa fille Jane car à chaque fois que cette dernière ramène une copine à la maison, il ne peut s’empêcher de paraître émoustillé comme un adolescent. Introvertie et gothique sur les bords, Jane est le stéréotype de l’adolescente mal dans sa peau.

L’un des génies d’American Beauty réside dans le traitement ses personnages. En effet, tous les personnages sont fascinants et attachants, même les personnages secondaires sont traités dans leurs paradoxes et leur complexité et surtout, chacun a un rôle déterminant au sein du scénario. Il y a l’amie de Jane, Angela, qui est une lycéenne aguicheuse qui se révèle en fait être vierge ; Lester tombera sous son charme. Un ancien militaire psychorigide qui a des tendances fasciste se révèle être un homosexuel refoulé ; c’est lui qui tuera Lester d’une balle dans le crâne une nuit de déluge, et son fils Ricky étrange et voyeur avec une caméra qui quitte rarement ses mains ; Ricky et Jane tomberont amoureux l’un de l’autre. Tous les personnages se révèlent être des allégories : ils représentent chacun un archétype de la société américaine.

De bout en bout, American Beauty est parsemé d’allégories et de symbolismes. La couleur est omniprésente dans le film, grâce aux roses que l’on retrouve partout, jusqu’à l’affiche. La rose est symbole de désir, de passion, de la fureur de vivre et donc de la jeunesse, de la vie. C’est pour cela que Carolyn apparaît comme une femme castratrice dès le départ : au début du film, elle coupe les roses de son jardin. En effet, c’est elle qui domine au sein de leur relation conjugale. Au contraire, lorsque Lester s’abandonne à ses fantasmes, il est toujours envahit par un déluge de pétales rouges. Le rouge et les roses sont toujours associés à Angela dans ses rêveries, elles sont l’objet de sa convoitise ultime.

C’est pourquoi Angela sera l’élément déclencheur. Avec ses lèvres pulpeuses, elle minaude devant Lester, le père de son amie Jane qui n’était déjà pas insensible à son charme, et il en tombe éperdument amoureux. A partir de cet instant, Lester se réveille de son existence léthargique. Le père de famille invisible qu’il était veut être vu par Angela, il fait donc de la musculation pour entretenir son corps, démissionne de son travail en touchant une grosse indemnité et retrouve un travail dans un fast-food car il veut un travail « sans responsabilités ». A partir de cet instant, il s’émancipe pour redevenir un adolescent : il se met à fumer de l’herbe, à s’acheter une voiture de sport rouge flamboyante et à écouter les Pink Floyd au volant de celle-ci. Le personnage de Lester est d’autant plus transcendé par l’immense interprétation de Kevin Spacey.

Outre une critique grinçante de la société américaine, le titre American Beauty annonce aussi un éloge de la beauté absurde du monde. Une beauté palpable, vue et ressentie à travers Ricky, un jeune dealer étrange porté par un Wes Bentley terriblement charismatique et fascinant. Ricky est le personnage qui détient le monopole de la sensibilité, il incarne un romantique moderne, qui, déchu de tous, voit ce que les autres ne voient pas. Oscar Wilde a écrit : « la beauté est dans l’œil de celui qui regarde. » En extrayant de la beauté dans les détails de l’existence, les yeux de Ricky sont pourvus d’une incroyable acuité. Une acuité que l’on peut comparer à celle de la figure du cinéaste (surtout que Ricky n’est jamais sans sa caméra à la main), Sam Mendes a-t-il voulu se mettre en scène à travers le personnage de Ricky ? Si c’était le cas, cette tâche a été accomplie d’un coup de maître. La séquence du sac plastique qui s’envole et qui danse au vent est exceptionnelle, la caméra de Ricky/Mendes arrive à capter cette temporalité imperceptible où soudain la quintessence de la beauté se mêle à l’insoutenable légèreté de l’être : elle me paraît légitimement comme l’une des plus belles séquences du 7ème art. Et les mots que Ricky déclare sur ces images ne font que renforcer la magnificence de cette séquence : « Et parfois je me dis qu’il y a tant de beauté dans le monde que c’en est insoutenable. Et mon cœur est sur le point de s’abandonner. »

D’une légèreté grave, American Beauty est une brillante satire sur la face cachée de la société américaine. Il y a pour ici Sam Mendes comme une certaine nécessité de traiter de nos vies vaines et de nos existences aveuglées par des priorités nourries de concepts vides. Et il le fait avec brio.
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le 9 mars 2014

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