Palme d’or 2013 à Cannes et salué unanimement par toute la presse internationale, l’attente se faisait longue avant la sortie événementielle de La Vie d’Adèle chapitre 1&2.

Après une brève tentative avec le sexe opposé, Adèle, qui étudie la littérature au lycée va ressentir un penchant pour les filles qui sera transcendé lors de la rencontre avec une étudiante en beaux art aux fascinants cheveux bleus, Emma. En s’étalant sur plusieurs années, le film suit le parcours initiatique d’Adèle depuis son lycée jusqu’à sa classe de CP dans laquelle elle enseignera par passion de transmettre.

Deux heures cinquante neuf minutes. Le dernier film d’Abdellatif Kechiche se vit plus qu’il ne se regarde. Palme d’or à l’époque du débat en France sur le Mariage pour tous, La Vie d’Adèle est plus qu’un film, c’est une expérience psychosensorielle. Le spectateur vit avec Adèle, mange, dort, pleure et jouit avec elle. Adèle Exarchopoulos, considérée comme LA révélation de Cannes 2013, dégage une désinvolture grave, comme un reste de de l’enfance. Sous la caméra de Kechiche, son personnage éponyme est époustouflant de vérité, tellement, que l’on arrive à se demander durant tout le film si le personnage qu’elle joue n’est pas autre qu’elle-même.

Adapté de la BD de Julie Maroh, Le bleu est une couleur chaude, Kechiche nous propose sa version de l’histoire, sous un prisme quasi-documentaire. Les procédés cinématographiques habituels sont bannis, la musique est exclusivement diégétique (à part la scène finale), le montage est transparent puisqu’il n’y a que des cuts. Ainsi on passe d’un dîner familiale à une scène de sexe cru et torride entre les deux protagonistes. Ce véritable parti pris de Kechiche nous montre, fidèle à lui même, son soucis de produire un documentaire plein de réalisme.

Le génie de Kechiche tient dans le fait que son regard de cinéaste est toujours juste, le spectateur n’est jamais en avance sur Adèle, ainsi on tombe amoureux et souffre en même temps qu’elle. Son cinéma arrive avec brio à transcrire les multiples états d’âmes de sa protagoniste en chacun de nous, mais de manière aussi diverse que nous le sommes, c’est à dire à travers le prisme sensible de chaque individu ; et ce sans perdre une once d’intensité dramatique. Cependant tout de même, dans le fait de tout montrer de manière frontale, Kechiche perd l’essence du cinéma qui tend à vivre au travers l’imaginaire du spectateur – Pensez à Lynch -.

Au début de film, dans sa classe de littérature au Lycée, on étudie Marivaux et la prédestination de la rencontre, c’est une belle mise en abyme de l’histoire qui va suivre. Il y a aussi cette phrase, toujours au début du récit, qu’Adèle dit à son ami en se confiant « il me manque quelque chose. » On pourrait en dire autant de la couleur bleue qui, omniprésente, annonce l’arrivée fulgurante d’Emma dans la vie d’Adèle. Emma et Adèle. C’est un film d’amour, comme on n’en voit plus au cinéma. Une histoire de rencontre, d’un coup de foudre. Adèle découvre l’amour et c’est beau. Les plans où Adèle et Emma apprennent à se connaître – et à glisser sur la pente enivrante de l’amour – dans une nature verdoyante magnifique, trop peut être, car les scènes restent idéalisées et romancées. Emma, un peu plus âgée, a parfait son éducation sexuelle et artistico-philosophique. Adèle tombe amoureuse pour la première fois, et comme chacun le sait, le premier amour ne meurt jamais tout à fait.

Mais c’est également un film qui, dans le double discours traite de la dualité socioculturelle qui sépare les deux amantes. On peut reprocher à Kechiche d’être un chouïa caricatural en opposant la famille à Emma où on mange des huîtres en parlant peinture à la famille d’Adèle où l’on mange des spaghettis bolognaise en parlant de choses bien plus terre à terre. Adèle, qui s’est toujours sentie exclue en présence des amis-artistes d’Emma, s’efface, peu à peu pour finalement ne plus exister du tout. D’ailleurs il y a cette séquence révélatrice où Emma pousse avec conviction Adèle à pratiquer une activité artistique, cependant Emma ignore et ne peut comprendre que l’activité d’institutrice puisse épanouir pleinement sa tendre-aimée et muse.

On parle de plus de cinq mois de tournages et 700 heures de rushs, son film semble naître dans la difficulté et la douleur ; les actrices elles-mêmes affirmaient de ne pas savoir quel film elles allaient voir : c’est la fameuse « méthode Kechiche ». Contrairement à la norme, ses films se construisent post-tournage, au fur et à mesure du montage, et c’est un travail titanesque réalisé par une armée de monteurs. Mais sa méthode unique, paye ! En effet, le jeu d’Adèle Exarchopulos et de Léa Seydoux sont époustouflantes de vérités, d’abord dans les scènes d’amour, où caresses et baisers se conjuguent en sensualité, volupté et intensité. Mais encore plus dans la séquence de rupture qui est déchirante, poignante, magistrale. En privilégiant les gros plans et les longues séquences, on sent l’amour de Kechiche pour ses actrices : nous ne sommes pas loin des rôles sur-mesure. Ainsi la caméra, qui n’est autre que le prolongement du cinéaste, se plaît à ausculter et à magnifier chaque carré de peau de ses actrices.

Je ne vais pas rentrer dans le cercle vicieux de la surenchère autour de la polémique qui a débuté pendant pendant le festival de Cannes concernant ce film car toute polémique est vaine. Alors malgré tout ce que l’on pourra raconter sur Abdellatif Kechiche, c’est un immense directeur d’acteur. Et cette qualité demeure une vérité incontestable.
Seventies7arts
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le 6 oct. 2013

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