A Chiara est un film italien réalisé par Jonas Carpignano, présenté à la Quinzaine des réalisateurs du Festival de Cannes 2021. L’on y suit une jeune fille partant à la recherche de son père dont elle découvre le vrai visage. Un récit du passage de l’enfance à l’âge adulte, où les relations fusionnelles feront place à une solitude étouffante… pour un temps.


L’immersion dans cette classe moyenne italienne est immédiate. Comme souvent dans les films abordant la mafia italienne, tout commence par une fête. Ce n’est ni Le Parrain ni le récent Le Traître de Bellocchio qui nous contrediront. Néanmoins, A Chiara ne parle pas vraiment de mafia, le terme étant tout juste employé. Jonas Carpignano s’intéresse plutôt aux retombées familiales que cette double-vie entraîne pour un homme ordinaire, situé au plus petit barreau de l’échelle (un simple empaqueteur de drogue). Et la principale victime de ce métier hors-la-loi, c’est l’une de ses filles : Chiara, 15 ans à peine.


Chiara est entre deux âge : entre l’adolescence et l’âge adulte. La découverte de la vérité concernant les activités de son père sera le déclencheur de son parcours initiatique, de son basculement vers l’âge adulte. Fini « Insta », finies les guéguerres entre filles, finies les soirées où l’on s’initie à l’alcool et aux cigarettes… Finie l’insouciance. L’initiation à venir est celle d’un contexte familial grave et trouble, et la maturité passera inévitablement par une cruelle désillusion. Son père, son héros, fait du trafic de drogues. Sa grande sœur savait, sa mère savait, les amis de la famille savaient. Tout le monde savait sauf elle (et la petite Giorgia, la benjamine). Du cocon rassurant introduit au début du film, entre sororité et amour paternel, il ne reste que des débris. Chiara se rend compte qu’on lui cache la vérité, qu’on l’infantilise pour la protéger alors qu’elle ne demande qu’à comprendre. Après une première partie où l’on festoie et où tout semble aller pour le mieux, malgré quelques détails troublants laissant le doute s’immiscer, A Chiara bascule dans un drame familial pur et dur doublé d’une dimension policière inattendue. Tout comme Alice découvre le pays des merveilles en tombant dans le terrier du lapin, Chiara dégringole dans le secret familial en découvrant une trappe dans un mur donnant accès à une planque sous la maison. En passant la trappe, c’est son bonheur familial qu’elle accepte de condamner au nom de la vérité. Une Alice inversée pénétrant dans le pays désenchanté.


Dès lors, la mise en scène s’adapte elle aussi. Si le bruit omniprésent était jusqu’ici le signe d’un bien-être collectif (les fêtes d’anniversaire, les rires, les chamailleries entre sœurs), un nouveau bruit, extradiégétique, vient ensuite étouffer Chiara pour mieux isoler son personnage du reste de sa famille. Le travail sur le sound design est sur ce point admirable : en plus de la caméra (qui filme Chiara souvent en gros plan, par des mouvements brusques et tremblants, en laissant l’arrière-plan complètement flou), les conversations se brouillent elles aussi, les sons de la ville paraissent étouffés, tout semble lointain. La communication avec la famille est rompue, et l’atmosphère assourdissante de certaines scènes ramène Chiara à sa solitude. Un film bruyant où se créent des poches de tension et d’angoisse laissées en sourdine, et d’où point par instants une forme d’onirisme.


S’il manque peut-être de scènes fortes, A Chiara reste un beau film sur l’amour entre un père et sa fille, qui joint l’échelle collective à l’échelle individuelle, le drame familial et le récit initiatique. Une découverte percutante à défaut d’être mémorable (à une scène de retrouvailles dans la brume près…), qui scrute les fractures autant sociales (entre classe moyenne et camps de gens du voyage) que familiales, dans un pays où les problèmes de trafic comme de machisme ne semblent toujours pas réglés. Un film tenu de bout en bout par son réalisateur, formellement irréprochable et porté par un casting très convaincant.


[Article à retrouver sur Le Mag du ciné]

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le 13 avr. 2022

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Jules

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