La famille est la superbe bâtisse couvrant les horribles secrets qu'elle tente de dissimuler. Pourtant, cette maison n'est pas invulnérable et à la moindre craquelure il est possible d'y entrevoir ce qui a été caché.


Dans A Chiara tout est dans le paraître. Les personnages vivent dans une société de l'image où les apparences ont davantage d'importance que la terrible réalité. La vie de Chiara et de sa famille semble parfaite. Ils rient, jouent, s'enlacent... ils forment la famille que tout le monde souhaiterait avoir. De son côté, l'adolescente de 16 ans se maquillent, se pomponnent et fait des photos qu'elle poste sur Instagram pour montrer que son quotidien est sublime. Cependant, tout cela n'est pas vrai. Ce qui se cache sous cette image utopique n'est aucunement dévoilé à Chiara et donc à nous. Le métrage dissimule le secret familial par les images qu'ils nous montrent et par les musiques qu'il nous fait écouter, la protagoniste et le spectateur devant ainsi chercher ce qui s'abrite derrière tout ça par lui-même. Derrière les lumières et les paillettes de la soirée d'anniversaire de Giulia se cache dans les regards des membres de la famille une réalité beaucoup plus sombre. Derrière la musique assourdissante de la fête se tapis un son sourd, dernier rempart pour cacher ce qui se dit dans les couloirs de la maison. Dans ce métrage i**l faut voir à travers la lumière et écouter au travers des murs** pour pouvoir comprendre la vérité. Finalement, ce sera par Instagram, lieu par excellence des faux semblants, que la vérité éclatera au visage de Chiara.
Les peintres d'Urbino peignent la réalité telle qu'elle est sans jamais y ajouter de filtre comme disait le cousin de Chiara. Après la réalité artificielle montré par le métrage lors de la longue séquence introductive, celui-ci adopte la réalité vu des yeux de l'adolescente. Derrière toute cette beauté, la réalité est sale. Adieu le maquillage et les belles robes montré en plan large, la caméra appuie via des gros plans, voire très gros plans, le visage fermé de Chiara, un visage différent de celui qu'elle arbore en société. Nous abandonnons les grandes fêtes pour nous plonger dans la Ciambra, là où il n'y a que misère et crime. Le langage que nous parlons par convenance disparaît, le père se mettant à la fin à parler en dialecte calabrais alors qu'au début il parlait un italien parfait. Le générique final nous offre la dernière part de réalité dans ce métrage de fiction. Nous voyions que la famille montré dans le film est en réalité une vraie famille. Ce élément, dissimulé à la perfection, vient conclure A Chiara d'une touche de réalisme donnant une vision plus authentique du métrage et des relations entre les personnages. C'est le véritable secret du film.
L’entièreté du rapport au secret est proche de qu'à pu faire Dario Argento dans son cinéma. Difficile de ne pas y voir dans la séquence de départ du père un peu du maître de l'horreur dans la réalisation de Jonas Carpignano. C'est une séquence mystérieuse dont on ne comprend les ressorts que bien plus. Chiara en percera le secret et ira, à l'image d'une Suzy dans Suspiria, ouvrir le mur où se cachait un bunker. Le rapprochement avec le cinéma d'Argento ne s'arrête cependant pas là car Carpignano prendra aussi de son esthétisme dans deux séquences de rêves qui viennent ponctuer le récit de teinte « fantastique ». La première séquence montre un trou creuser dans la chambre des parents baigné dans une lueur bleu. Ces deux éléments font penser à l'instant T à la fuite du père face aux policiers, puis elle sera à rapprocher de la découverte du bunker par Chiara avec sa lampe torche bleu. La deuxième séquence se déroule une nouvelle fois dans la chambre des parents sauf qu'elle est en flamme et que cette fois-ci le père y est. Il prendra alors Chiara dans ses bras et la ramènera au lit. La photographie fera évidemment penser à la cachette du père qui est baigné de rouge, cependant, cette séquence est plutôt à mettre en face avec celle du retour de Chiara chez elle. En effet, Chiara prendra la place du père et Giorgia prendra la place de la fille à qui on cache le secret, rôle tenu alors par l'adolescente de 16 ans. Ce sont deux séquences dont nous aurions pu nous passer car faisant largement moins sens dans ce métrage quand dans ceux d'Argento. Pourtant, il est juste de dire que la portée symbolique de celles-ci est intéressante.


La réalisation de Carpignano est profondément ancré dans le réalisme. Caméra à l'épaule, il suit Chiara et son entourage de manière très frontal avec peu de plans larges comme si nous faisions parti intégrante de cette famille. Cependant, malgré la proximité, nous faisons face à une famille désuni. Durant la soirée d'anniversaire, le réalisateur prend de court le spectateur en ne filmant pas en plan moyen lors de la photo de famille. Non, il filme un à un leurs visages comme si ces visages ne pouvaient exister dans un seul et même plan. De ce fait, la famille ne peut être uni et le symbole de cette fracture est Chiara.
Chiara est de prime abord tête dur et obstinée. Elle fait la jeune fille belle et forte mais derrière ce qu'elle montre aux autres elle souffre de la situation qui lui échappe. Chiara est avant tout – et bien avant son « enquête » – jalouse de sa sœur Giulia. Il n'y en a que pour elle et son père le lui fait comprendre. Ce qui différencie Giulia de Chiara est que la première sait pour son père. Les deux sont liés par cette histoire, mettant alors Chiara sur le bas côté et lui forgeant ce caractère solitaire et quasiment adulte. Cet éloignement de la sphère paternelle est montré deux fois dans le film : la première fois quand le père parle à son cousin, puis quand le père danse avec Giulia. Dans les deux cas, Chiara est au premier plan en train de regarder son paternel au loin. Cette idée de l'éloignement sera reprise plus tard avec comme sujet non pas le père mais le secret. Chiara sera alors de nouveau au premier plan mais cette fois-ci en regardant la voiture de son cousin. Le fait d'être mise à l'écart ne l’empêchera cependant pas de savoir où se trouve son père. Dans sa recherche elle séchera les cours et blessera une rom au visage, faisant alors intervenir l'assistante sociale. Finalement, elle fuira cette dernière la faisant ainsi devenir comme son père : une fugitive. C'est alors en connaissant tout et en étant devenue une délinquante qu'elle pourra entrer dans la voiture de son cousin et voir son père en face à face.
Dans ce parcours chaotique proche de celui paternel, Chiara surprendra le monde qui l'entoure en se détournant de celle-ci. L'arrivée de l'assistante donne une vision assez acerbe sur le fonctionnement de l'institution italienne et pointe du doigt son hypocrisie. Selon celle-ci il faut éloigner les enfants du cocon familiale mafieux pour ne pas perpétuer le cercle du crime, sauf que ce système ne touche pas ceux qui tirent vraiment les ficelles : les patrons de la mafia. De plus, ils ont totalement tort. Chiara n'aurait jamais dû savoir pour son père et elle ne l'a su que par elle-même, sa famille ne souhaitant rien lui révéler. De surcroît, même lorsqu'elle a vu le fonctionnement complet du trafic de son père, en étant au centre des opérations, elle n'a pas perpétué le cercle et est partie. Tout au long du métrage, Chiara n'aura fait que de courir sur un tapis roulant. A la fin, en prenant la lourde décision de partir, elle se mettra à courir tout sur une piste d'athlétisme, laissant derrière elle sa famille, chose souligné par le plan où elle se regarde dans le miroir après sa fête d'anniversaire, seul moment où nous voyions la vraie Chiara.


A Chiara raconte l'histoire d'une adolescente vivant dans une maison d'inconnue. Il est vrai que les liens familiaux sont puissants mais peuvent-ils continuellement le rester si nous ne connaissons pas la vraie vie de ceux qui ont toujours vécus avec nous ? Chiara a prit sa décision en choisissant un autre foyer car, finalement, il faut savoir briser ces liens pour pouvoir en créer de plus forts.

Flave
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le 23 avr. 2022

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Flave

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