À couteaux tirés (Knives Out en VO) est le nouveau film de Rian Johnson. On lui doit notamment le controversé (de manière plus ou moins injuste) Star Wars épisode 8. Et pourtant, ce film ne manquait pas de qualité dans sa façon vivifiante d'aborder l'univers de la guerre des étoiles.
Changement complet de genre pour ce petit génie de la réalisation et de l'écriture. Loin des fans excités de Star Wars, il est en mesure de montrer toute l'étendue de son talent, à l'aide d'un casting 5 étoiles. On est ici dans un film d'enquête à la Agatha Christie. On parle est également du genre Whodunit et plus prosaïquement, le policier en français.
L'intrigue est on ne peut plus simple, un célèbre auteur de polars, richissime, du nom de Harlan Thrombey (excellent Christopher Plummer) est retrouvé mort le lendemain de l'anniversaire de ses 85 ans. Toute sa famille était réunie dans sa somptueuse maison à l'occasion de la fête. Et cela fera autant de suspects. Bien que les apparences semblent indiquer un suicide, le célèbre détective privé, Benoit Blanc (impeccable Daniel Craig), a été embauché par une personne mystérieuse afin d'élucider l'affaire...
Le patronyme francophone du personnage du détective ne manque pas de rappeler la figure d'Hercule Poirot. Hommage subtile et discret. Et comme chez Agatha Christie, inutile d'essayer de deviner qui l'a fait ! Ce qui rend ce film jubilatoire, c'est qu'il prend ce genre de l'enquête policière et qu'il en fait diverses variations, pour mieux piéger le spectateur. Ainsi, de nombreuses fausses pistes et rebondissements vont jalonner le récit. Le mystère apparent semblant alors se dissiper pour nous amener dans une narration à la Colombo où l'on croit connaitre le coupable et où on se délecte de la façon dont il sera débusqué. Autre hommage assez explicite au genre de la part de Johnson, un plan de la célèbre série Arabesque, qui apparait à la télévision lorsqu'un personnage la regarde !
Et c'est en cela que ce film excelle, il nous montre au début quelque chose de familier, d'évident mais en laissant percevoir à chaque fois que quelque chose cloche. Et il en est de même de la fameuse enquête. Et la métaphore du trou dans le donut prend tout son sens. On a un ensemble harmonieux mais il y a encore un vide à combler, une explication à trouver. Et ce mystère qui demeure jusqu'à la dernière minute fait naître tout le plaisir.
En outre, ce film est aussi jubilatoire car il permet de dresser un portrait au vitriol de la société américaine. Et c'est là que les talents d'écriture et de réalisation de Johnson entrent en jeu. En passant déjà par un plan d'ouverture totalement dingue ou la caméra est fixe et film le jardin de la résidence, et là, deux molosses foncent au ralenti vers le spectateur. Comme si le film venait directement le chercher. Contraste intéressant avec l'ouverture de Star Wars 8 où là, c'était la caméra qui fonçait vers la bataille spatiale. Plus intéressante encore la question de l'argent et du statut social que ce dernier procure. En plus de la famille éplorée, qui ne va pas tarder à se déchirer sur l'héritage, on a également l'infirmière qui s'occupait du défunt. D'origine latino américaine, étant présentée comme une personne honnête et incapable de mentir. Un des gags récurrents du film de la part des personnages de la famille riche étant de donner une nationalité différente à cette pauvre infirmière prénommée Marta (sublime Ana de Armas). On en dénombre quatre (Uruguay, Équateur, Paraguay, Brésil). L'intelligence de ce gag est à saluer, car il montre un peu le mépris qui existe de façon inconsciente parmi ces gens, où finalement, chacun de ces pays se vaut et est interchangeable. De façon plus explicite, les discussions sur l'immigration et l'apport des personnes qui essayent de venir aux USA, sont par leur outrance, une très plaisante satire de l'Amérique de Trump.
Enfin, ce film fonctionne surtout par son casting, et l'écriture de ces fabuleux personnages. L'enquêteur interprété par Craig, avec son accent bizarre, que l'on sous estime forcément mais qui finit quand même par l'emporter. La candeur d'Ana de Armas. Mais aussi tous les membres de la familles, à commencer par l'inquiétant Michael Shanon et l'hilarante Jamie Lee Curtis.
Sous couvert d'enquête policière, Rian Johnson parvient à nous distiller subtilement de la lutte des classes, avec humour mais aussi une certaine tendresse. On aurait tort de se priver d'un tel film !