Décidément, Rian Johnson est toujours aussi con.
Mais cette fois, ce n'est pas pour avoir fait imploser de l'intérieur une des franchises les plus chères… au coeur des éternels teenagers du monde entiers.
Non, ce coup-ci, il l'est dans le sens: "haha, mais qu'il est con".
Parce que le garçon s'est quand même permis, au cours d'une interview livrée à Vanity Fair, de lâcher…
le plus gros spoiler permanent pour tous les films contemporains se déroulant à l'époque actuelle.
Le père de tous les spoilers. Le boss du divulgachâge.
Le troll du déflecteur au sommet de l'Everest de la défloration.
Mais avant de revenir sur cette révélation fumante, le contexte.
Aussi curieux que cela puisse paraître, Hollywood confie à l'homme qui a dynamité Star Wars les rênes d'une production qu'il a imaginé, écrit et qu'il entend même diriger. Une nouvelle preuve, s'il en était besoin, que les producteurs de cinéma fonctionnent comme les grands labos pharmaceutiques ou les compagnies d'armement: ils ne regardent que les chiffres, et jamais la façon de les obtenir (Les derniers Jedi ? 317 millions de budget, 1 milliards 332 millions de rentrées. Saint Rian peut continuer à jeter des sabres laser derrière son épaule… Amen).
De curieux, on passe au stade stupéfiant en découvrant son nouveau projet terminé, une revisite ludique et réjouissante du whodunit Agathachristien qui en épouse la forme classique pour mieux jouer avec ses codes.
Au fond, un (who)dunit, avec un trou au milieu.
Les critiques émises sur le thème du manque profond d'originalité du film sont amusantes dans le sens où il s'agit bien du coeur de l'envie de Johnson: réinvestir un canevas essoré pour mieux s'amuser avec.
Et pour le coup, l'exercice semble parfaitement assumé, réussi et jubilatoire.
Il n'est jamais facile d'arpenter un terrain balisé en déplaçant de manière suffisamment subtile les repères pour que les visiteurs en apprécient à la fois l'aspect familier et les joies de la surprise.
Les acteurs s'amusent comme des petits fous, les twists sont badins et primesautiers ("c'est encore toi Ransom ?") et les trouvailles abondantes et parfaitement intégrées. Ce n'est pas le tout, par exemple, d'imaginer un personnage incapable de mentir sans vomir, encore faut-il exploiter l'idée de manière judicieuse jusqu'à la fin du récit.
C'est vif, tranchant, et même rétractable.
Le couteau entre (dans) l'aidant.
Du coup, merde..! Ce con de Rian Johnson était donc aussi capable de ce genre de chose…
(Capable au point d'ailleurs, de créer Jacob Thrombey, un personnage inspiré par les trolls avec qui il eu à faire après l'épisode 8).
Passons donc aux choses sérieuses. Il est temps d'aborder la pièce de résistance: si vous ne l'aviez pas déjà lue, voilà donc la révélation du réalisateur.
(Si vous ne souhaitez pas être spoilé jusqu'à la fin des temps, il est temps de fuir.)
Johnson a expliqué (avec, on imagine, son petit sourire malin) qu'Apple acceptait (voir favorisait, faudrait pas oublier que nous sommes dans l'univers des placements de marques) que ses appareils apparaissent dans les films à condition qu'il ne s'agisse pas du méchant (ou de la méchante) du film.
Ce qui peut être gênant dans un cas de film à suspens comme celui-ci, vous en conviendrez.
La notion même de méchanceté étant assez floue, elle permet tout de même quelques libertés morales: jusqu'à quel point peut-on considérer les membres de la famille Thrombey, avides et individualistes, comme non-mauvais ?
Le crime doit sans doute être la ligne rouge des puritains de Cupertino.
Une suite de ce très réussi A couteaux tirés est donc en chantier et on peut s'en réjouir.
Et regarder les futurs projets de l'ami Johnson avec une bienveillance nouvelle et une affection inattendue.
Et encore davantage si l'on accrédite la thèse selon laquelle Johnson aimait trop Star Wars pour voir la franchise emprunter la tournure que Disney souhaitait sans réagir, et vouloir faire sauter tout le projet de l'intérieur.
Sans que certains ne s'en rendent compte.
Ou, plus héroïque encore, sans qu'on ne réalise la nature de son sacrifice.
Il est peut-être pas si con, le Rian.