Alors qu’il peut souvent irriter par ses incontournables lois et son incapacité, le genre est aussi la garantie du plaisir des retrouvailles : une sorte de rituel réconfortant, un cadre au sein duquel les variations de la nouveauté seront savamment contrôlées pour ne jamais déborder des attentes. C’est le cas avec le « film d’enquête à la Agatha Christie », où un détective perspicace déjoue un à un les ressorts retors d’une grande machinerie à laquelle on se plait à ne d’abord rien comprendre.
Rian Johnson, échappé du mastodonte Star Wars et des cris de haine des pseudo détenteurs de l’orthodoxie, revient à ses premiers amours d’un récit alambiqué à multiples tiroirs (Brick, Une arnaque presque parfaite), soutenu par un casting assez fantastique de contre-emplois. Chaque personnage aura sa séquence sous le feu des projecteurs, son trône de fer sous le feu des questions, pour une exposition assez ébouriffante croisant les temporalités, la vérités et les mensonges et nous offrant, comme de coutume, tous les suspects et leurs mobiles sur un plateau garni.
Sur ce « plateau de Cluedo géant » que tout le monde a identifié, la comédie prend évidemment ses droits, pour une galerie de caricatures où les comédiens s’en donnent à cœur joie, meute de sangsues autour d’un auteur de romans policiers (la grossièreté assumée du symbole n’échappera à personne), dans un manoir typique, où l’accent de Craig lui-même procède de la bouffonnerie la plus élémentaire.
Alors qu’on donne au spectateur un accès sans cesse privilégié à la vérité, ces quelques coups d’avance sur le détective permettent un arc narratif dédoublé bien huilé, qui mêle l’enquête et ceux qui tentent de l’entraver, d’autant qu’on a bien fait en sorte de rendre les coupables des faits comme les seuls innocents auxquels le spectateur pourrait s’attacher.
Ce regard en surplomb, conscient des ficelles et jouant avec elles sans cynisme, parvient ainsi à mêler le plaisir d’une intrigue trépidante (et menée sans essoufflement sur ses 130 minutes) et la malice de la comédie, à la faveur d’échanges bien sentis, d’un regard au vitriol sur le rapport à l’argent et au racisme soft de la société américaine, et jusqu’à des sorties de route (ce running gag aussi invraisemblable qu’amusant sur les nausées de la protagoniste en cas de mensonge) assez bienvenues, à l’image de l’issue de la course-poursuite haletante dans cette petite bourgade.
Petit plaisir à l’ancienne, raisonnablement assaisonné au goût du jour, À couteaux tirés a de quoi réjouir : il prouve que dans ces cadres bien définis qui pourraient prendre la poussière, le sang neuf peut toujours affluer.