Ce qui reste
Un simple drap pour raconter une histoire de fantôme. Comme si nous étions revenus à l'âge de l'enfance. Mais une histoire comme aucune autre. C'est une histoire sur ce qui reste. Comme la lumière...
le 10 janv. 2018
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Avec le temps tout s’en va, disait le poète. D’ailleurs, depuis il s’en est allé, lui aussi. Comme quoi, rien ne sert de courir, il faut partir à temps. Ou pas. Parce que si on part à contre temps, on s'en va aussi. En fait, on a meilleur compte de prendre son temps. Comme moi, par exemple, qui, pris par le temps, avais raté ce superbe film et qui par hasard ai pu le voir deux mois après sa sortie. En plus, ça tombe bien, c’est un film qui prend son temps et qui parle du temps.
A Ghost Story est un film surprenant, où un homme mort devient un fantôme qui hante la maison qu’il habitait avec sa femme. Schéma classique, me direz-vous, mais traitement particulier. Le fantôme est représenté de manière très traditionnelle, avec un drap blanc sur le corps et des trous pour les yeux. Mais ce qui est inhabituel c’est que le film n’est pas spectaculaire, qu’il ne fait pas peur, qu’il y a très peu d’effets spéciaux, pratiquement pas d’action, on est presque toujours dans le même lieu, il y a de longs plans fixes le plus souvent, très peu de dialogues, une grande lenteur générale. C’est en quelque sorte un anti-film de fantôme traditionnel, comme il y a des anti-western. Et malgré tout ça, on se s’ennuie pas, bien au contraire, par sa simplicité le film est fascinant (même si évidemment il n'est pas sensé plaire à tout le monde).
Deux séquences m'ont particulièrement impressionné :
1- Plan fixe sur le corps de C à l’hôpital. L’infirmière montre le corps à M, la femme du défunt, pour qu’elle le reconnaisse. Une fois qu’elle l’a reconnu, elle met le drap sur le visage de C, comme on le fait pour un mort, puis s’en va. On reste avec le corps drapé, à 4mètres environ, comme le sera plus tard C observant sa femme (mais ça on ne le sait pas encore).
On entend des bruits d’ambiance qui montrent qu’il y a de la vie hors champ. Il se passe un long moment et c’est ce temps écoulé, la durée démesurée du plan qui signifie qu’on est en train de changer de dimension. Soudain le mort se relève avec son drap : il est devenu fantôme.
2- Plan fixe sur M, qui mange une tarte. Elle est assise à même le sol, elle mange de manière boulimique comme pour combler un vide affectif. Un peu plus loin, vers le fond à droite, on voit le fantôme de C qui l’observe. Il y a une grande profondeur de champ jusqu’à la salle de bain qu’on aperçoit au fond avec une fenêtre d’où sort la lumière du jour.
Là encore, la durée démesurée du plan interpelle. On ressent que c’est un moment douloureux marquant pour cette femme en deuil et c’est cette durée dilatée qui nous le fait comprendre. Par ailleurs, le fait de manger doit apporter du réconfort à M, mais quand elle a fini la tarte, elle se précipite à la salle de bain pour vomir, comme quoi la douleur du deuil ne passe pas.
Dans ces deux plans séquences, le temps s’écoule lentement, il n’y a pas de mouvement de caméra et il n’y a un mouvement du personnage qu’à la fin du plan, comme un accomplissement de la séquence.
Mais le temps ne s’écoule pas toujours lentement. A d’autres moments il s’accélère, comme quand on voit M sortir pour aller travailler le matin, de façon récurrente, jours après jours. Plus tard, il y a des ellipses et on découvre les différentes familles qui occuperont la maison. C lui, reste toujours là, à regarder.
S’il voyage dans le temps, C reste scotché au même lieu qu’il découvrira ensuite dans le passé, avant même que la maison soit construite et dans le futur, quand on construira un immeuble à la place. Il reviendra ensuite à un moment qu’il a déjà vécu en tant que fantôme, puisqu’on verra son fantôme observant son premier fantôme observant M. Le temps est donc réversible dans le passé et dans le futur et également cyclique. L’espace, lui, est pour C quasiment fixe.
La mise en scène très épurée sert le propos métaphysique. On sent ainsi qu’on est dans une autre dimension, dans celle d’un homme mort devenu fantôme. On peut aussi imaginer que ce fantôme est une métaphore du deuil d’un amour, ou d’un être cher qui vient de mourir.
Ce qui est aussi très appréciable, c’est que bien qu’on parle de vie après la mort, il n’y a pas de pathos excessif, ni de discours religieux ou mystique et qu’il reste une part de mystère.
Comme il est question de mort et de deuil, le film n’est pas franchement rigolo, mais néanmoins il plane une douce poésie mélancolique et on se surprend parfois à sourire en voyant ce fantôme naïf avec juste un drap sur le corps et des trous pour ses yeux. L’effet comique est même explicite quand C croise un autre fantôme qui lui fait coucou, ou quand il se lève pour la première fois.
Pourtant objectivement, la "vie" du mort n’est pas forcément réjouissante, étant donné qu’il semble subir les événements. Il ne fait que regarder les changements de locataires dans la maison, sans pouvoir agir. Certes, à un moment il s’énerve et fait tomber des assiettes ou grincer des portes (comme le font usuellement les fantômes pour effrayer les importuns ;-) , mais sa "vie" est essentiellement contemplative. Alors, peut être est-ce agréable finalement de se laisser porter par les évènements, surtout quand on est mort… C’est peut être plus plaisant que de devoir répondre de ses actes devant un tribunal en vue d’accéder à un hypothétique paradis céleste, ou de croupir dans un cercueil en attendant le néant ?
En tout cas, ce film est très original dans sa forme et dans son fond, il prend son temps tout en étant intéressant et il continue de hanter mon esprit, alors que ça fait déjà plus d’une semaine que je l’ai vu.
Avec le temps, tout s’en va... oui mais il faut parfois un certain temps avant que tout ne disparaisse.
Une chanson triste de circonstance (même si le film lui n'est pas triste) :
https://www.youtube.com/watch?v=ZH7dG0qyzyg
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Créée
le 22 févr. 2018
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