Pour conclure mon cycle sur Kubrick, j’ai voulu revoir ce film qui fut un de ses projets et qu’il confia à Spielberg.
Autant le dire d’emblée, A.I. est clairement un film signé du disciple. Même si l’on peut très bien comprendre l’intérêt qu’y portait Kubrick, et si les visuels qu’il avait fait réaliser sont ici à l’œuvre, l’esthétique générale est très clairement identifiable, et les échos à E.T. ou Rencontre sont assez nombreux, avec ce bleuté 80’s, ces forêts nocturnes et brumeuses, cette attention portée à l’enfance…
Certes, A.I. a du marquer son époque par son recours à l’imagerie numérique, confirmant l’attentisme de Kubrick par rapport aux nécessaires progrès technologiques pour mener son projet à terme. C’est propre, net, ambitieux, même si l’on a toujours ce sentiment d’être face à une copie de bon élève, jusque dans les plans séquences (dont celui, impressionnant il est vrai, qui suit le parcours dans les tribunes d’un employé transportant Teddy vers la caisse des objets trouvés).
C’est peut-être justement ce thème de la perfection qui le plus d’intérêt au film : David est l’enfant parfait, programmé pour aimer à la perfection. Ce visage finalement assez inquiétant prend de temps à autre sa dimension réellement robotique : lorsqu’il se susitue au téléphone, lorsqu’il mange. Cette frontière ténue entre perfection et monstruosité, idéalisation et altérité traverse la première partie, mais de façon un peu trop ténue. Face au programme, l’humanité se révèle dans toute sa cruauté : parents / consommateurs ingrats, foule ivre de tuerie dans une foire à la chair qui appuie les parallèles à l’holocauste dans un esprit à la Mad Max qui n’est franchement pas des plus heureux.
La visée satirique, par l’entremise de l’humanoïde joué par Jude Law, permet certes des explorations un peu acides sur la marchandisation du sexe. Cela n’équilibre pas pour autant les immenses pesanteurs du parallèle entre le récit et Pinocchio, la quête de la fée bleue, trame métaphoriquement intéressante, mais ici assenée et répétée ad nauseam.
Pourtant, A.I parvient encore à émouvoir, se délaissant progressivement de la parole et des couleurs criardes pour atteindre une épure assez intrigante. La longue séquence des retrouvailles avec le concepteur, la chute aquatique rompent les chaines du récit traditionnel. Et la séquence finale touche enfin du doigt le véritable sujet, qu’on a déjà vu exploité par Houellebecq, plus récemment dans Her et qui restitue ici les liens filiaux entre un robot et un clone, observés avec attention par des extraterrestres. Celui de la spécificité humaine, de l’indicible de ses sentiments, de son attendrissante et mélancolique imperfection.